LE GOUROU DEMASQUE: L. RON HUBBARD

Chapitre 7: Betty et la magie noire

"Hubbard a terrassé la magie noire en Amérique. Grâce à sa réputation d' écrivain et de philosophe et à ses amitiés parmi les physiciens, il fut chargé de régler un grave problème, dans une maison de Pasadena habitée par des physiciens nucléaires. Il alla vivre avec eux, enquêta sur les rites de magie noire (qu'ils pratiquaient) et découvrit une situation alarmante. Sa mission réussit au-delà de toute espérance : la maison fut rasée et Hubbard sauva une femme dont (les magiciens) abusaient.. Une fois dispersé, le groupe ne se reconstitua jamais" (Déclaration de l'église de scientologie, décembre 1969).

Hubbard resta trois mois à l'hôpital d'Oak-Knoll sans que les médecins pussent jamais dire de quoi il souffrait. S'il n'était manifestement ni aveugle ni invalide, il prétendait subir un perpétuel martyr. Son dossier médical mentionne des examens quasi hebdomadaires provoqués par une flopée de malaises et de douleurs dont il ne cessait de se plaindre : migraines, rhumatismes, conjonctivite, douleurs dans le côté, arthrose, hémorroïdes, maux d' estomac un véritable dictionnaire médical . Déclaré "inapte au service actif" en septembre à cause d'un ulcère, ses troubles seront finalement considérés "sans gravité" en novembre. En réalité, Ron tentait d'obtenir une pension d'invalide de guerre, qu'il se hâta d'expédier dès sa démobilisation, le 5 Décembre 1945, en citant à l' appui de sa demande : "Luxation du genou gauche, conjonctivite, ulcère chronique du duodénum, arthrose à la hanche et à l' épaule droites, malaria, douleurs non diagnostiquées au flanc gauche et au dos." Il déclarait en outre que sa femme et ses enfants vivaient à Bremerton chez ses parents jusqu'à ce qu'il ait les moyens de leur procurer un toit, car sa profession d'écrivain indépendant lui assurait un revenu mensuel de "zéro dollar" alors qu'il gagnait en moyenne 'six cent cinquante dollars par mois' avant son engagement dans la marine.

Satisfait d' avoir fait ce dossier assez convaincant pour lui ouvrir droit à généreuse pension, Ron quitta le centre de démobilisation de San Francisco au volant d'une vieille Packard attelée à une caravane récemment acquise. Mais au lieu de mettre cap au nord vers l'État de Washington, vers son foyer et sa famille, il file alors plein sud vers Los Angeles, car il a rendez-vous avec un magicien de Pasadena dans une étrange demeure victorienne. John Parsons, Jack pour ses amis, descendait d'une honorable famille de Los Angeles. Beau brun ressemblant à Errol Flynn et âgé de trente et un ans, brillant chimiste, l'un des meilleurs experts en explosifs des États-Unis. Il avait passé une grande partie de la guerre à l'Institut de Technologie Californien, dans l'équipe chargée du développement des moteurs à réaction et de l'étude des carburants de fusées: le dernier homme au monde qu'on aurait imaginé se livrer au culte de Satan. Car Jack Parsons menait une double vie : savant respecté de jour, plongeant la nuit dans les ténèbres occultes, il croyait au diable, à la magie noire et aux pouvoirs des esprits malins.

Pendant ses études à USC (Université de Californie du Sud), il avait découvert les écrits d' Aleister Crowley, sorcier sataniste anglais dont la doctrine tient en 2 mots : "Fais ce qui te plaît, ce sera ta Loi." Séduit, Parsons s'était enrôlé en 39 avec sa femme Helen dans la société secrète fondée par Crowley, l'Ordo Templi Orientis ou OTO, où l'on pratiquait la magie noire avec rites sexuels. Devenu maître d'une "loge", il correspondait régulièrement avec Crowley. Au décès de son père, Parsons hérita de la maison familiale South Orange Grove Avenue, l' artère la plus élégante et la mieux habitée de Pasadena pendant les années vingt et trente. Le quartier perdit un peu de superbe vers la fin de la guerre mais, dans l'ensemble, les grandes villas restaient belles. On imagine le scandale des voisins en voyant le fils Parsons, incapable d'entretenir sa vaste maison, la transformer en hôtel mal famé et faire paraître dans la presse locale des petites annonces exigeant de ses locataires qu'ils soient athées! C'est ainsi que les nombreuses pièces du 1003 South Orange Grove Avenue furent bientôt peuplées d'un bruyant assortiment d'oisifs et de vagabonds, acteurs sans rôles, écrivaillons sans éditeurs, étudiants fauchés et artistes ou anarchistes, danseurs , musiciens attirant foule de personnages aussi peu recommandables de l'un et l'autre sexe. Les voisins auraient été encore plus alarmés d'apprendre que la maison abritait le siège d'une secte de magie noire. Parsons avait aménagé les deux plus grandes pièces en appartement privé servant aussi de temple. On n'y entrait pas sans y être convié et les portes restaient closes pendant les assemblées de l'OTO. Les occupants de la maison apercevaient parfois, au détour d'un couloir, Parsons ou un de ses acolytes drapés en robes noires, mais personne ne savait au juste ce qui se passait à l'intérieur du "temple". Passionné de science-fiction, à quoi il trouvait diverses ressemblances avec la magie, Parsons réunissait ses amis le dimanche pour des discussions sur les mérites comparés des auteurs et de leurs idées. L'un des habitués de ces séances dominicales, Alva Rogers, deviendra un "résident semi-permanent" de South Orange Grove Avenue où il avait fait la connaissance d'une pensionnaire, étudiante en histoire de l' art, avec laquelle il passait ses nuits chaque fois qu'il le pouvait.

A l'été 1944, Helen Parsons quitta son mari pour un membre de la secte dont elle était enceinte. Parsons se consola en reportant ses affections sur la jeune soeur de son épouse, Sara Elizabeth Northrup, dite "Betty". A dix-huit ans, cette jeune et charmante étudiante de l'USC fut bientôt subjuguée par son amant au point d' abandonner ses études et de s'installer chez lui. Parsons l'initia aux rites de l'OTO, la fit participer aux "cérémonies" et, fidèle aux enseignements de Crowley, l'encouragea à coucher avec tous les hommes qui lui plairaient car, disait-il, la jalousie était un sentiment dégradant, indigne des esprits éclairés. "Betty était une ravissante blonde débordante de joie de vivre, se souvient Rogers. L'entente entre Jack et Betty et leurs liens d' affection, sinon d'amour, étaient si puissants, malgré leurs nombreuses infidélités qu'ils paraissaient éternels."

Cette solidité était illusoire. En Août 1945, le dessinateur Lou Goldstone, illustrateur réputé de science-fiction, familier de la maison, y amena Ron Hubbard pendant une permission de ce dernier. Jack Parsons éprouva une sympathie immédiate pour Hubbard, en qui il reconnut une âme-soeur, et l'invita à s'installer chez lui. Ron se sentit tout de suite à l' aise dans ce milieu bohème et chaleureux Tous les soirs, à cuisine où les pensionnaires aimaient se rassembler, il accaparait la conversation par des récits époustouflants de ses aventures. Comme tout le monde, ou presque, Rogers était subjugué par Hubbard qu'il trouvait le plus sympathique des hommes.

La maison étant pleine, Hubbard dut un moment cohabiter avec Nieson Himmel, jeune reporter amateur de science-fiction. Mais le scepticisme inné des journalistes rendit Himmel insensible à la séduction de son compagnon de chambre. "Je n' ai jamais supporté les charlatans. Or, Hubbard était manifestement un imposteur et un mythomane mais pas un imbécile, loin de là : il avait l'esprit vif, un réel don de conteur et il était capable de charmer n'importe qui. Il nous rabâchait les oreilles de ses histoires de guerre, il avait tout fait, tout vu. Un jour, il a dit avoir appartenu à l'état-major de l'amiral Halsey. J'ai appelé un de mes amis qui en sortait et il m'a répondu : "Je n' ai jamais entendu parler de ce type "...Il ne m' aimait pas parce que je le piégeais en dénonçant ses mensonges.. Il était toujours fauché et essayait d'emprunter de l'argent à tout le monde. Quand nous parlions de ses difficultés d' argent, il disait souvent que le moyen le plus facile d' en gagner consistait à fonder une religion."

Loin de partager l'aversion d'Himmel, Parsons était si bien persuadé de l'importance du pouvoir magique de son nouvel ami qu'il l'initia aux rites de l'OTO. De son côté, Betty fut si vite séduite par la faconde de cet officier de marine qu'elle s'empressa de coucher avec lui.

Si Parsons, fidèle à ses principes, feignit l'indifférence, les autres ne tardèrent pas à remarquer une certaine tension entre les deux hommes. Quant à Himmel, amoureux sans espoir de Betty, il était fou de rage : "C'était la fille la plus belle, la plus intelligente, la plus adorable que j'aie jamais connue... Et voilà Hubbard qui débarque et couche avec toutes les filles de la maison avant de mettre le grappin sur Betty. Je n'en croyais pas mes yeux. Ce goujat vivait aux crochets de Parsons et s'envoyait sa petite amie sous son nez... Par moments, leur hostilité était presque palpable.".

Parsons , toujours convaincu quand-même convaincu des pouvoirs de Ron, ne disait rien. Après le départ de Ron pour l'hôpital d'Oak Knoll, il écrivit à Crowley : "J' ai fait la connaissance du capitaine Ron Hubbard, auteur et explorateur que je connaissais déjà de réputation... C'est un gentleman honnête et intelligent dont je me suis fait un ami sincère... Betty et moi sommes toujours en bons termes mais elle a transféré sur Ron son attachement sexuel... Bien qu'il n' ait pas reçu de réel enseignement magique, il en possède une expérience et une compréhension extraordinaires. J' ai déduit de ses confidencesqu'il est en contact direct permanent avec un Esprit Supérieur, sans doute son Ange Gardien... qui l'a guidé toute la vie et l'a maintes fois sauvé... Tout à fait d'accord avec nos principes... [Je me réjouis de son arrivée car] j'ai besoin d'un partenaire en magie pour toute sorte d'expériences auxquelles je pense..."

Début Décembre 1945, en rentrant du centre de démobilisation de San Francisco, Ron reparut à Pasadena. Il gara sa Packard et sa caravane derrière la maison et, en dépit du chagrin de Parsons, reprit sa liaison avec Betty au là où ils en étaient restés. Alva Rogers et sa bonne amie furent peut-être les seuls occupants de la maison à savoir de ce que Parsons endurait.

"Notre chambre était juste en face del' appartement de Jack, se souvient Rogers. Un matin de Décembre, nous avons été réveillés à l' aube par des bruits bizarres, comme un râle d'agonisant ou les gémissements d'un malade. Quand nous sommes sortis dans le couloir, nous avons entendu que le bruit venait de chez Jack dont la porte était restée entr'ouverte. Nous aurions dû rentrer chez nous mais ce bruit, une sorte d'incantation, nous attirait vraiment . Nous avons un peu poussé la porte pour mieux voir et je n'oublierai jamais ce que nous avons vu. La chambre assombrie de fumées d'encens était décorée de tous les symboles et accessoires de l'occultisme... Jack nous tournait le dos. Drapé dans une robe noire, les bras levés, il se tenait au centre d'un pentagramme tracé sur le sol devant l'autel..."

Quant aux incompréhensibles incantations, Parsons les proférait d'une manière qui ne laissait planer aucun doute sur leur signification. Effrayés, Rogers et son amie se hâtèrent de regagner leur chambre et passèrent la nuit à réfléchir au spectacle dont ils avaient été témoins involontaires.

Rogers avait compris que Parsons invoquait un démon afin de se débarrasser de son rival. Le rituel ne fut pas très efficace, le démon peu coopératif, car Hubbard conserva sa belle humeur, le trio maintint l'apparence de bons rapports et Parsons redoubla d'efforts pour vaincre cette jalousie indigne. "J'ai subi la dure épreuve de l'amour humain et de la jalousie", note-t-il dans son Registre Magique (conservé aux archives de l' OTO), avant d' ajouter : "J'ai trouvé en Ron un loyal compagnon et ami...Nous allons lui et moi poursuivre notre projet pour la gloire de l'Ordre."

Le projet en question portait sur une expérience de magie noire sans précédent jusqu'alors: avec le précieux concours de son nouvel ami, Parsons voulait entreprendre la création d'un "enfant de lune", l'être magique "plus puissant que tous les rois de la Terre", Antéchrist doué d'une intellignece supérieure "conçu en dehors des manières propres à l'homme et dépourvu d' âme humaine", dont Crowley avait prophétisé la naissance quarante ans auparavant dans son "Livre de la Loi". Pour trouver la mère de ce Messie satanique, Parsons prévoyait d'invoquer l'esprit de la "prostituée de Babylone" mère de toutes les fornications, la "femme écarlate" de l' Apocalypse.

Le 4 Janvier 1946 à 9 heures du soir, Parsons et Hubbard, servant de "scribe", entamèrent la série des rituels censés provoquer, espéraient-ils, la matérialisation de la "femme écarlate" mais il n'y eût guère d'autres mystérieuses manifestations que d'esprits frappeurs et l'apparition de feux follets... au cours d'une panne d'électricité. Le 15 janvier matin, les magiciens délaissèrent leurs activités ésotériques pour du réaliste.

Depuis quelque temps, Ron, Betty et Jack envisageaient de monter ensemble une société destinées au commerce de bateaux de plaisance d' occasion sur la côte Est pour les revendre avec un bénéfice en Californie. Le 15 Janvier, ils signaient sur l' acte constitutif d'une société dénommée Allied Enterprises. La répartition du capital entre les associés était précaire : Parsons s'engageait pour plus de 20 000 dollars, Hubbard pour 1200 avec bien du mal, Betty rien du tout...Les associés reprirent le soir même leur quête surnaturelle qui déboucha pour Ron sur une "vision astrale". Parsons ressentit aussitôt une forte tension qui dura jusqu'au 18 janvier, lorsque le magicien et son scribe se rendirent dans le désert Mojave accomplir une "mission mystique". Le soleil se couchait quand Parsons sentit son angoisse s'évanouir pour faire place à une sensation de bien-être. Alors, se tournant versHubbard, il dit simplement : "C'est fait."

Revenant à South Orange Grove, la "femme écarlate", une certaine Marjorie Cameron, les attendait en effet. Elle ne différait pas tant des douzaines de jeunes femmes plus ou moins marginales attirées en ces lieux de Pasadena. Parsons était cependant convaincu que cette rousse aux yeux verts incarnait l'esprit de "l' ego libidineux" dont il avait invoqué l'apparition surtout parce qu' elle se disait disposée, mieux encore, avide de participer aux rites magiques et aux dépravations sexuelles qu'il lui faisait miroiter.

En Février, Ron se rendit dans l'Est afin d'étudier le marché des yachts d'occasion. Pendant ce temps, dans les solitudes du désert Mojave, Parsons recueillait avec ferveur les instructions de la déesse Babalon (sic) sur la manière d'imprégner sa "femme écarlate" de la semence sacrée. Son exaltation ne connut plus de bornes lorsque son scribe et acolyte revint le 1er mars en disant avoir eu la vision d'une "femme belle et sauvage, montée nue sur le dos d'une bête" et qui avait un message urgent à leur délivrer. Dès le lendemain, ils se préparèrent à recevoir ce message. En transe, le scribe nota scrupuleusement les paroles de la déesse Babalon; à minuit, on fit entrer la "femme écarlate" nue sous une robe cramoisie, on procéda aux incantations d'usage puis, trois nuits durant, letrio se livra à toutes sortes de fornications magiques jusqu'à ce que l' épuisement et le sommeil les forcent à cesser les agapes. Le 6 mars, satisfait d' avoir procédé selon les règles occultes à l'imprégnation de sa "femme écarlate" qui, neuf mois plus tard, ne pourrait manquer de mettre au monde un "enfant de lune" conforme aux prophéties.

Parsons en avisa par écrit son père spirituel, Aleister Crowley. Mais celui-ci, septuagénaire, héroïnomane et déjà à demi-mort, prit fort mal la chose et répliqua durement : "Je croyais avoir une imagination morbide.. mais je me demande vraiment ce qui vous passe par la tête!". Il informa aussi Karl Germer, grand-maître de l'OTO aux États-Unis : "Il semblerait que Parsons ou Hubbard ou je ne sais qui s'amuse à faire un "enfant de lune". Quand je pense à leur ânerie, j'en suis malade! "Tandis que la rebuffade de Crowley mettait Parsons sur des charbons ardents, son scribe et loyal ami affrontait des problèmes plus prosaïques : toujours fauché, ayant englouti ses maigres économies dans le capital d'Allied Enterprises, Hubbard n' avait plus un sou. Il n'avait pratiquement rien écrit depuis sa démobilisation et sa femme perdait patience devant ses prétextes à répétition pour se dire hors d'état de subvenir à ses besoins et à ceux de leurs enfants. Polly savait qu'il n'y avait plus aucune chance de sauver leur ménage. Peu avant la fin de la guerre, Ron lui avait proposé de s'installer en Californie quand il serait libéré, mais elle avait refusé de déraciner les enfants et de les ballotter d'une côte à l'autre en suivant les caprices de son mari.

Entourés d' amis et de parents, Nibs et Katie se trouvaient bien à Bremerton. Polly, qui avait quitté le Belvédère trop éloigné des écoles et des magasins, vivait bien chez ses beaux-parents. May et Hub, retraités, étaient ravis d' avoir leurs petits-enfants prèsd'eux. Si cette cohabitation lui permettait de faire des économies, Polly avait quand même besoin d' argent pour les nourrir et les habiller; elle estimait donc que son mari devait lui en fournir. Or, Ron était d' autant plus incapable de s'exécuter qu'il avait épuisé tout crédit auprès des habitants de South Orange Grove," tapés "les uns après les autres et, pour la plupart, encore moins riches que lui. En Février, l' Administration des Anciens Combattants lui allouait une pension mensuelle de 11 ou 12 dollars, correspondant à un taux d'invalidité de dix pour cent. Insatisfait de cette" aumône", Ron écrivit le 18 Mars en signalant une nouvelle infirmité qu'il avait omis de mentionner dans sa demande initiale, par vulgaire étourderie: "J' ai perdu entre soixante et quatre-vingts pour cent de ma vision, se plaignait-il. Ecrivain, ma présente incapacité à lire et à me servir de mes yeux affecte gravement mes moyens de gagner ma vie...

Auriez-vous l' obligeance de me faire savoir quelles démarches je devrais entreprendre pour obtenir un supplément de pension?".

Au bout de quatre ans dans la marine, Ron ne se faisait pas d' illusion sur la rapidité bureaucratique. Ses besoins d' argent, plus pressants que jamais, le poussant à trouver une solution rapide, il persuada Parsons qu'il était temps de mettre Allied Enterprises en activité. Fin avril Ron et Sara (elle ne s'appelait Betty que pour les familiers d'Orange Grove Avenue) partirent pour la Floride avec 10000 dollars prélevés sur le compte en banque de l'association.

Parsons avait donné sona ccord, étant entendu que cette somme servirait à l'achat du premier yacht et que ses associés le ramèneraient en Californie soit par mer, soit par terre selon le coût. Bien entendu, Parsons ignorait que son loyal associé et ami avait demandé le 1er avril à la Direction des personnels navals l'autorisation, alors indispensable aux réservistes, de quitter le territoire des États-Unis pour visiter... la Chine et l' Amérique du Sud.

Sans nouvelles de Ron et de Sara au bout de quelques semaines, Parsons commença à s'inquiéter. Il en discuta avec Louis Culling, un membre de l'OTO, en jurant de récupérer son argent par tous les moyens et de liquider l' association. Le lendemain même, Hubbard lui téléphona en PCV de Floride. Présent par hasard à ce moment-là, Culling put se rendre compte de l'emprise incroyable qu'Hubbard exerçait sur Parsons. Après ce que ce dernier lui avait dit la veille, il s' attendait à ce qu'il manifeste au moins une certaine froideur envers son associé malhonnète.

Or, Parsons tut toutes ses inquiétudes, ne fit aucun reproche à Hubbard et ne le menaça pas de dissoudre leur association. Leur conversation se déroula dans la plus franche cordialité et Parsons la conclut en disant : "J' espère que nous resterons toujours associés, Ron."

Profondément troublé, Culling prit sur lui d'enquêter. Le 12 mai, il écrivit au grand maître Karl Germer : "Vous savez peut-être que Frère John a signé avec Ron et Betty un accord d'association... et Frère John, autant que je sache, a investi tout son argent dans l'affaire... Entre-temps, Ron et Betty se sont acheté un yacht avec les 10000 dollars et vivent aux frais de la Princesse , alors que Frère John se trouve sans un sou. Il semblerait qu'ils n'aient jamais eu l'intention de ramener ce bateau en Californie pour le revendre, comme il était convenu avec Frère John, mais qu'ils ne soient partis sur la Côte Est que pour s'amuser..." Bien entendu, Germer fit son rapport à Crowley qui lui télégraphia le 22 Mai: "Soupçonne Ron d'escroquerie. Jack trop crédule et sans volonté, victime toute désignée des aigrefins."

Huit jours plus tard, Crowley précisait par écrit : "Il me semble, selon les informations communiquées par nos Frères de Californie, que Parsons aurait reçu une "illumination" lui ayant fait perdre tout son libre arbitre... et qu'il s'est laissé dépouiller à la fois de son argent et de sa compagne.. C' est de l'escroquerie caractérisée "

Tandis que Crowley et les membres de l'OTO tombaient d'accord pour considérer que leur Frère Parson s'était fait avoir, ce dernier arrivait de son côté à la même et pénible conclusion. Début juin, bien décidé à retrouver les amants indélicats et à obtenir son dû, il boucla sa valise et prit le train pour la Floride. A Miami, il découvrit avec stupeur qu' Allied Enterprises avait acheté trois bateaux : deux schooners, le Harpoon et le Blue Water, et un yacht, le Diane. Ron avait gagé les schooners pour plus de 12 000 dollars. Parsons parvint à retrouver la trace du Harpoon dans un port de plaisance et celle du Blue Water dans un chantier naval, mais nulle part celle de Ron et deSara.

Quelques jours plus tard, la capitainerie du port de plaisance l'avertit par téléphone que le Harpoon avait levé l'ancre à cinq heures de l'après-midi, avec Ron et Sara à bord, apparemment en fuite. Dans sa chambre d'hôtel de Miami, Parsons revêtit sa robe noire, traça un cercle sur le sol à l' aide de sa baguette magique et proféra les incantations d'usage afin d'invoquer Bartzabel, l' esprit de Mars, pour se faire aider à rattraper les fuyards. Il eut le plaisir de rapporter peu après à Crowley le succès de son initiative : "Au moment même où j'implorais l'assistance de l'Esprit.. le bateau a été pris dans une soudaine bourrasque de vent qui a déchiré ses voiles et l'a forcé à rentrer au port, où je l'ai fait saisir."

Le 1er Juillet, soucieux peut-être de ne pas abuser du bon vouloir du Malin, Parsons chercha réparation par des méthodes plus conventionnelles en portant plainte contre Ron et Sara pour rupture de contrat d'association, abus de biens sociaux et tentative de fuite. Le tribunal nomma un syndic devant procéder à la liquidation d'Allied Enterprises et assigna les inculpés à résidence avec interdiction d'aliéner tout ou partie de l'actif de la société. Rassuré par ces mesures de sécurité, Parsons ne se faisait quand même guère d'illusions : "J'aurais de la chance, écrivit-il à Crowley le 5 Juillet, si je réussis à sauver entre trois et cinq mille dollars."

Le 11 juillet, les associés signèrent un compromis préparé par l'avocat de Parsons, aux termes duquel l' association était dissoute, Ron et Sara rétrocédant à Parsons le Blue Water et le Diane et acceptant de lui rembourser la moitié de ses frais de procédure. De son côté, Parsons leur cédait le Harpoon contre une reconnaissance de dette de 2900 dollars, montant théorique de sa part. Là-dessus, le magicien regagna Pasadena satisfait d'avoir sauvé ce qui restait des meubles, sans regret d'avoir perdu d'un coup son ancienne maîtresse et son ex-meilleur ami. Jusqu'à sa mort accidentelle en 1952, il ne les reverra ni n'en entendra d'ailleurs jamais plus parler.

Après cette vie aux frais de Jack Parsons et d' Allied Enterprises, Ron et Sara se retrouvèrent à Miami dans une pauvreté à laquelle ils étaient habitués. Le problème consistait à faire face aux échéances de l' emprunt de 4600 dollars courant encore sur le Harpoon. N'ayant jamais été homme à se laisser abattre par les soucis d' argent, Ron restait convaincu qu'il réussirait à soutirer de l'Administration des Anciens Combattants un supplément de pension, et le 4Jjuillet, jour de la fête nationale, il avait réclamait à nouveau dans une lettre dépeignant ses souffrances, tableau vraiment déchirant. Aux divers maux dont il s'était déjà affligé s' ajoutait une infirmité inédite : "infection osseuse chronique" contractée à Princeton, à cause de son "passage sans transition de la chaleur des Tropiques à l'humidité glaciale de la Nouvelle-Angleterre" et qui depuis, prétendait-il, lui infligeait à chaque pas d'intolérables douleurs. Si l'on ajoutait à ce handicap la quasi cécité qui lui interdisait d' exercer sa profession d' écrivain, lui rapportant avant la guerre plus de mille dollars par mois (dans sa première demande, la somme ne se montait qu'à six cent cinquante), cela justifiait une sérieuse révision de sa pension à baser, d'après lui, sur un taux de cent pour cent. Il avait même amené Sara à appuyer sa requête en témoignant par écrit que, depuis son retour, son vieil ami Ron Hubbard n'était plus que l'ombre de l'homme énergique et entreprenant qu'elle avait connu avant la guerre, qu'il n'avait aucun espoir de se rétablir et que, devenu impotent et condamné au chômage, il se trouverait à coup sûr dans une situation tragique une fois épuisées ses maigres économies. Bonne fille, Sara s'était exécutée en mettant l'adresse de ses parents à Pasadena.

Mais Ron savait que cet appel à la générosité publique n'était qu'un pis aller; la solution la plus évidente et la plus rapide consistait à revendre le Harpoon, opération permettant de payer les dettes immédiates. Ainsi remis à flot, pour le moment du moins, Hubbard demanda à Sara de l'épouser, ce qu'elle accepta sans hésiter. Les deux amants dirent adieu à la Floride au début d'août et partirent pour Washington. Le 10 août 1946, Sara Elizabeth Northrup, majeure à vingt et un ans, et L. Ron Hubbard convolèrent dans la petite ville de Chestertown, Maryland, proche de Washington. Simple coïncidence Chestertown n' était qu'à quelques 50 Kms d'Elkton, où le même Ron Hubbard avait convolé en 1933 avec Polly Grubb. Sara, il est vrai, ignorait jusqu'à l'existence de Polly. Elle ne savait pas davantage que son nouveau conjoint avait été précédemment marié et encore moins qu'il n'avait jamais divorcé...Quant à Polly, toujours à Bremerton, il lui restait à découvrir que son légitime époux était bigame!


Return to Index