LE GOUROU DEMASQUE: L. RON HUBBARD

Chapitre 6: Héroïsme

"Engagé dans la marine en 1941 avant l'entrée en guerre des USA, Hubbard fut affecté aux Philippines dès le début des hostilités. Premier blessé américain rapatrié de ce théâtre d' opération, il revint à la fin du Printemps de 1942 par l'avion personnel du Secrétaire à la Marine" (Biographie abrégée de L. Ron Hubbard.)

Après avoir servi dans le Pacifique Sud... il fut affecté dès 42 au commandement d'un aviso dans la lutte contre les sous-marins allemands dans l' Atlantique Nord. Promu Commodore (lieutenant de vaisseau, titre qui avait alors disparu puis repparu pendant la deuxième guerre mondiale, ndt) en 1943, il commandera des unités amphibies en 44. Après avoir servi sur les cinq théâtres d'opérations de la Seconde Guerre mondiale, titulaire de vingt et une palmes ou décorations et grièvement blessé en 44, il fut admis infirme et aveugle à l'Hôpital naval d'Oak Knoll. (Facts about L. Ron Hubbard. - Faits concernant Hubbard, publication scientologique, ndt). En Juillet 1941, les États-Unis étaient déjà effectivement, sinon officiellement entrés en guerre. Les Marines avaient pris position en Islande et les bâtiments de l'US Navy escortaient les convois traversant l'Atlantique chargés de matériel au titre de la loi Prêt-Bail.

Le lobby isolationniste pouvait bien accuser Roosevelt d'entraîner inutilement le pays dans un conflit qui ne le concernait pas, faire machine arrière était impossible. En Août, quelques jours après la signature de la Charte Atlantique par Roosevelt et Churchill, un sous-marin allemand attaqua sans succès un destroyer américain, "l' USS Greer", au large de l'Islande et Roosevelt donna l'ordre de "tirer à vue". En octobre, après le torpillage dans l'Atlantique Nord d'un autre destroyer, l'USS Kearney, une guerre navale non déclarée fit rage entre les États-Unis et l'Allemagne. Le lieutenant de réserve Hubbard se trouvait alors au service des relations publiques de la marine, car ses succès d'écrivain semblaient le destiner à louer les mérites de l'US Navy dans les journaux. S'estimant mieux qualifié que quiconque, Ron n' avait pas endossé l'uniforme depuis cinq minutes qu'il donnait déjà force conseils éclairés à ses supérieurs. Le 21 Juillet, deux jours après son incorporation, il écrivit au Député Magnusson pour le remercier de son soutien et l'informer qu'il avait déjà soumis trois idées permettant d'accélérer le recrutement, toutes trois "en cours d'application" ; une semaine plus tard, dans une lettre à en-tête de l'Explorers Club à New York, Hubbard fit savoir à son protecteur qu'il se proposait d'écrire deux articles par semaine afin de "vendre les cols bleus" à l'opinion publique. Cette activité, prétendait-il, devant lui rapporter "environ trois fois plus que ma solde, je considère comme la moindre des choses de verser le surplus aux oeuvres sociales de la marine". Les marins méritants ne perçurent sans doute pas grand-chose car si Hubbard écrivit ses deux articles par semaine, on n'en trouve trace dans aucun magazine. S'étant bientôt rendu compte que le lieutenant L.R Hubbard perdait son temps, la marine l'envoya le 22 septembre à Washington annoter les photographies prises par lui-même pendant son séjour en Alaska. Le Service hydrographique note à cette occasion que quelques douzaines de ces photographies étaient "assez nettes" et présentaient "un certain intérêt pour la navigation" ; quant aux modifications ou précisions à apporter aux instructions nautiques dans le secteur de la Colombie britannique, le rapport estimait que si certaines étaient de peu d'importance, "l'ensemble représentait une contribution positive". Cette appréciation plutôt élogieuse mit un terme à la carrière de Ron Hubbard dans les relations publiques. Le 24 novembre, après une permission de six semaines, il fut affecté au Troisième District Naval à New York pour suivre une formation d'officier de renseignement. Pendant toute cette période, son père était en poste en Californie, à la base navale de Mare Island à San Pablo Bay où il était responsable de l'intendance et toujours Capitaine de Corvette à cinquante-cinq ans, n'ayant pour ainsi dire plus de rapports avec son fils Ron depuis des années. Le plaisir qu'il avait pu éprouver en voyant son fils entrer comme lui dans la marine ne suffisait pas à lui faire oublier la déception et la réprobation que son mode de vie lui inspirait. Profondément conservateur, guidé dans tous ses actes par la routine et les conventions, Hub n'avait jamais pu admettre ce qu'il appelait les excentricités de Ron, son refus d'un emploi stable, son habitude de travailler la nuit et de dormir le jour, ses longues absences de chez lui et, surtout, son manque d'égards envers sa famille. Hub avait beaucoup d'affection pour Polly et adorait ses petits-enfants Nibs, sept ans, et Cathy, cinq ans; il se peinait de les préferer parfois à leur propre père. De son côté, Ron ne se sentait rien de commun avec ce père qui passait sa vie enfermé dans des bureaux, sans autre ambition que de toucher sa retraite. Cette banale existence de gratte-papier lui paraissait trop terne par rapport au monde enchanté où il évoluait par la pensée, du moins. Il n'avait jamais cessé de se considérer sous les traits de l'intrépide aventurier servant de modèle aux héros issus de son imagination et il ne manquait jamais l'occasion de faire valoir son image de grand voyageur au long cours. Dotés de caractères aussi foncièrement incompatibles, il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que le fossé se soit inexorablement élargi entre Hubbard père et fils. Le lieutenant Hubbard était encore au Q.G. du Troisième District quand le dimanche 7 Décembre 1941, peu après 15 heures, un flash d'information interrompit le concert du New York Philharmonic retransmis par CBS : les Japonais venaient d' attaquer Pearl Harbour. Le lendemain, Roosevelt signait la déclaration de guerre.

Affecté aux Philippines le 18 Décembre, Ron ne dépassa pas Brisbane, Australie, où il devait prendre le bateau pour Manille. Il s'y rendit tellement odieux à ses supérieurs qu'on le réexpédia aux États-Unis en Février 1942 à bord du USS Chaumont. "Cet officier n'est pas qualifié pour exercer indépendamment des responsabilités, notait l' attaché naval américain de Melbourne dans un rapport du 14 Février 1942. Il parle trop, veut faire l'important et se prétend doué de capacités exceptionnelles dans presque tous les domaines: le contrôler de très près pour en obtenir des résultats satisfaisants pour tout travail de renseignement." Le rapport mentionnait aussi que Hubbard se permettait de donner des ordres sans avoir au préalable sollicité ni obtenu de délégation d'autorité, se mêlait de domaines pour lesquels il n'était pas compétent, se rendant donc "une source de désordres considérables". Le Douzième District naval de San Francisco décida d'utiliser les talents du lieutenant Hubbard à la censure des dépêches. Cet emploi sédentaire ne convenant pas à ses aspirations, Ron sollicita en juin son affectation sur un patrouilleur, de préférence dans le secteur des Caraïbes, dont les peuples, les langues et les coutumes me sont familiers et où je possède la connaissance du pilotage". Sa requête approuvée, il reçut l' ordre de se présenter à un chantier naval à Neponset, Massachusetts, afin de superviser la transformation d'un chalutier en canonnière de "classe YP", devant être immatriculée USS YP-422 et dont il prendrait le commandement à la fin des travaux. Enfin, il tenait sa chance de se révéler le héros qu'il croyait être depuis toujours!

De toute façon, l'US Navy avait désespérement besoin d'hommes décidés à se battre car tout tournait au cauchemar depuis Pearl Harbour. L'euphorie des premiers temps s'évanouissait sous l' accumulation des revers subis dans le Pacifique : Guam était tombée, puis Manille, Singapour, Bataan, Corregidor... C'est donc pénétré du sentiment d'accomplir sa destinée qu'Hubbard, ordre de mission en poche, prit le chemin de Neponset. Les travaux de transformation allèrent bon train, de sorte que Ron put annoncer le 9 Septembre 1942 au commandant de l' arsenal de Boston que l'USS YP-422 était en état de marche, que l'équipage serait prochainement opérationnel et que le moral était au plus haut." Aussitôt que quelques imperfections auront été corrigées, concluait-il, ce bâtiment sera prêt à prendre la mer... avec l'impatience de rejoindre le poste de combat qui lui aura été assigné."

Comme son père dans sa jeunesse, Ron manifestait une certaine tendance à la distraction quand il s' agissait de ses dettes personnelles. Ainsi, pendant qu'il supervisait la transformation de l' YP-422, il était poursuivi par des tailleurs de Brisbane et de Washington pour des uniformes impayés. En apprenant que la banque de Ketchikan, à qui il devait toujours 265 dollars, s'était plainte auprès de la direction du personnel, il écrivit au caissier avec indignation qu'un homme risquant sa vie pour sa patrie avait mieux à faire que de se soucier de ses créanciers... Le jour des premiers essais en mer de l' YP-422, le lieutenant Hubbard ne courait cependant aucun risque car il ne se trouvait pas à bord : relevé de son commandement le 1er octobre, il avait reçu, sans autre explication, l'ordre de se présenter au Douzième District naval pour y remplir les fonctions qu'on lui assignerait". On sait seulement qu'il s'était bagarré peu auparavant avec un officier supérieur en grade dont il contestait les décisions et qu'il avait fait l'erreur de s'en plaindre auprès du Commandement des Opérations navales à Washington. Informé de cette fâcheuse initiative, le commandant de l'arsenal de Boston avait réagi le 25 Septembre en déclarant dans un rapport à Washington que le lieutenant Hubbard avait "un tempérament inadapté à exercer un commandement indépendant."

Ses rêves de gloire brisés, Ron attendit sa prochaine affectation : retrouvant sa joie de vivre en recevant l' ordre de se rendre au centre de formation des chasseurs de sous-marins à Miami : Ron, "Renard des Mers", allait pouvoir donner sa mesure et faire régner la terreur dans les rangs des flottes ennemies...

Le 2 Novembre, le lieutenant Hubbard arriva au centre chaussé de lunettes noires ; il se lia bientôt d' amitié avec un jeune lieutenant du nom de Thomas Moulton, vivement impressionné d'apprendre que son nouvel ami devait ainsi se protéger la vue pour avoir eu les yeux brûlés par la flamme d'un tir de canon sur le destroyer Edsel dont il était chef canonnier. Il fut bientôt de notoriété publique qu'il avait servi sur plusieurs destroyers, au point que son "expérience" ne tarda pas à faire autorité pendant les cours. Brillant conteur, comme les membres de la Guilde des auteurs de fiction pouvaient en témoigner, Hubbard maîtrisait au plus haut point l'art de séduire l'auditoire grâce à un salmigondis de jargon technique, d'anecdotes invérifiables et d'inventions pures et simples.

Alors qu'il s'instruisait aux subtilités de la chasse aux sous-marins, Moulton recueillit les "confidences" de ses héroïques exploits, qu' Hubbard ne livrait qu'avec bien des difficultés. Celui-ci, entre autres, avait de quoi le sidérer : le jour même de l'attaque de Pearl Harbour, Ron débarquait de l'Edsel sur la côte nord de Java, non loin de Sourabaya, pour y accomplir une mission secrète: l'Edsel avait sombré corps et biens : (en réalité, le destroyer ne sombrera qu'en Mars 42); abandonné sur une île bientôt occupée par les Japonais, Ron avait survécu dans la jungle où, échappant de justesse à une patrouille ennemie, il avait été fauché par une rafale de mitrailleuse lui infligeant de graves blessures dont, déclarait-il stoïquement, il souffrait toujours. Encore chancelant, il avait rencontré un autre officier américain, comme lui naufragé involontaire; les deux hommes avaient réussi à construire un radeau et s'étaient lancés dans la traversée de la mer de Timor infestée de requins avant d'être enfin recueillis plus morts que vifs par un destroyer britannique à moins de cent milles marins des côtes australiennes.

C'était là, se disait Moulton ébahi d' admiration, une exceptionnelle prouesse de navigation! En Janvier 1943, Hubbard alla accomplir un stage de lutte anti-sous-marine à Key West, en Floride, avant d'être affecté à Portland, Oregon, où il devait prendre le commandement d'un chasseur de sous-marins de 280 tonneaux en cours de construction, "l'USS PC-815"

Il demanda à son ami d' être son second; Moulton espérait obtenir un commandement mais il admirait tellement Ron qu'il accepta. En attendant la fin des travaux, les deux amis profitèrent des charmes de Portland Moulton fit venir sa femme de la côte Est, Polly venant souvent de Bremerton. Ils dînaient souvent tous les quatre en ville. Le lancement du PC-815 eut lieu mardi 20 Avril 1943. Le surlendemain, l'Oregon Journal célébra l'événement par un article, illustré d'une photographie du commandant et de son second en uniforme de parade ; la mine martiale, Hubbard y était décrit comme un "vétéran de la chasse anti-sous-marine... dans le Pacifique et l' Atlantique". Ce modeste guerrier déclarait aussi avoir passé une partie de son enfance à Portland et descendre d'une longue lignée d'hommes de mer, citant le capitaine Lafayette Waterbury, son grand-père, et le capitaine I.C. DeWolfe, son arrière-grand-père, qui avaient, paraît-il, "écrit des pages de l'histoire de la marine américaine", sans jamais préciser lesquelles. (Vous vous souvenez peut-être que Lafayette Waterbury, le grand-père, était vétérinaire et n' avait jamais mis le pied sur un bateau, que son arrière-grand-père s'appelait Abram Waterbury et que "I.C"., pour Ida Charlotte DeWolfe était sa grand-mère...)

Son statut de membre de l'Explorers Club reçut aussi bien sûr les honneurs qu'il méritait et que l'article ne passa pas sous silence les "trois expéditions d'importance internationale" dont il avait été le chef. Le journaliste parvint même à lui faire avouer avec répugnance qu'il avait été le premier homme au monde à se servir d'un bathysphère pour réaliser des prises de vue sous-marines au cours de l'Expédition cinématographique des Caraïbes. Quant aux commentaires que lui inspirait son nouveau bâtiment, ils mêlaient la mâle résolution d'Humphrey Bogart dans ses meilleurs rôles à d'exaltants sentiments patriotiques dignes des discours de Roosevelt.

Le 18 Mai 1943 au soir, le PC-815 quitta le chantier naval d' Astoria, Oregon, pour sa croisière inaugurale. Le navire, qui devait rejoindre la base de San Diego, n' avait pas pris la mer depuis cinq heures qu'à 2 h 30 du matin, au large du Cap Lookout, il rencontra un ou peut-être deux sous-marins ennemis au beau milieu d'un des couloirs de navigation les plus fréquentés du littoral Pacifique...Le lieutenant Hubbard fit son rapport à l'Etat-Major de la flotte du Pacifique dans le style des magazines d'aventures où il avait excellé. Sans le citer in extenso, il suffit de savoir qu' au cours des soixante-huit heures que dura cet engagement", le PC-815 largua plusieurs douzaines de grenades sous-marines et fit usage de toutes ses bouches à feu, au point de devoir se faire réapprovisionner en munitions par la Coast Guard et de demander des renforts : jusqu'à cinq bâtiments et deux dirigeables d'observation furent présents sur les lieux de cet affrontement... non sanglant - mais les salves d'artillerie et les grenades avaient beau se succéder, ni tache d'huile ni débris révélateurs ne devinrent visibles, aucun cadavre japonais n' ayant la bonne idée de surnager. Le surlendemain à minuit, le PC-815 reçut l' ordre de regagner sa base où Ron fut ulcéré d'être accueilli avec un scepticisme ou... par une franche rigolade.

La Navy prit toutefois l'incident assez au sérieux pour lancer une enquête immédiate. Depuis Pearl Harbour, l'idée d'une attaque-surprise de la côte Pacifique par la marine japonaise ne cessait de faire trembler l' Amérique. En Février 1942, un sous-marin japonais isolé avait fait surface à quelques encablures de Santa Barbara et tiré vingt-cinq obus sur une raffinerie de pétrole. On ne pouvait donc pas écarter l'éventualité d'un nouveau raid et la Navy devait savoir avec certitude si le PC-815 avait ou non rencontré des sous-marins ennemis au large de l'Oregon. Le commandant et le second du bâtiment comparurent devant l' amiral Frank J. Fletcher, commandant la région navale nord-ouest à Seattle. L'amiral étudia le rapport de dix-huit pages soumis par Hubbard, interrogea les commandants des quatre autres bâtiments et des deux dirigeables d'observation appelés en renfort et fit examiner par des experts la bande de l'enregistreur du sonar du PC-815. Une fois en possession des éléments d'appréciation, l' amiral Fletcher arriva très vite à la conclusion que la centaine de grenades sous-marines larguées au cours de la "bataille" avaient sans doute provoqué une hécatombe chez les poissons mais n' avaient infligé aucune perte aux Japonais. Dans son rapport confidentiel daté du 8 juin 1943 auc ommandement en chef de la flotte du Pacifique, Fletcher déclarait notamment : "L' analyse des rapports confirme ma conviction qu'il n'y avait aucun sous-marin dans ce secteur. Le capitaine de corvette Sullivan , le commandant des dirigeables d'observation, déclarent n'avoir décelé aucune trace de la présence de sous-marins, à l'exception d'une bulle d'air dont la formation pourrait s'expliquer par l'explosion de nombreuses charges sous-marines concentrées au même endroit.

Les commandants de tous les bâtiments présents sur les lieux, sauf celui du PC-815, affirment n' avoir observé aucun signe de la présence d'un sous-marin. "Fletcher signalant en outre" l'existence connue et répertoriée d'une formation rocheuse magnétique "à cet endroit, ce qui sous-entendait clairement que le PC-815 avait, pendant près de trois jours, livré bataille à une masse magnétique.. Ni Hubbard ni Moulton n'acceptèrent ce verdict qui les ridiculisait. Pour eux, nier la présence de sous-marins ennemis si près des côtes américaines relevait d'une décision politique, dictée par le souci de ne pas alarmer les populations civiles déjà affolées par le raid sur Santa Barbara quelques mois auparavant. Quant aux hommes d'équipage du PC-815, qui s'attendaient à être traités en héros, ils durent se contenter de subir divers quolibets de leurs camarades. Si le rapport de l' amiral Fletcher entâchat la réputation du lieutenant Hubbard, il ne suggéra pas de le relever de son commandement. Les plaisanteries qui couraient sur "l'homme qui coulait des masses magnétiques" auraient fini par être oubliées si un nouvel incident n'était venu peu après mettre littéralement le feu aux poudres. Vers fin Mai, le PC-815 escorta un porte-avions neuf de Portland à San Diego, où Hubbard fit ses adieux à son ami Moulton affecté à Seattle. Située à l'extrême sud de la Californie, San Diego n'est qu'à 15 kms de Tijuana.

Au large de Tijuana se trouvent Los Coronados, îlots inhabités où les pêcheurs font sécher leurs filets.

Le 28 Juin 1943 dans l'après-midi, ayant pénétré à son insu dans les eaux territoriales mexicaines, le PC-815 tira quatre coups de canon en direction des Coronados, jeta l'ancre au large d'une des îles et tira dans l'eau plusieurs salves d' armes légères, fusils et pistolets. Si les autorités mexicaines voulurent bien admettre qu'il ne s' agissait pas d'une attaque-surprise traîtreusement lancée par leur puissant voisin, elles n'en considérèrent pas moins que l'incident justifiait une protestation officielle... Avec le souvenir de son héroïque combat contre une masse magnétique encore frais dans les mémoires, le lieutenant Hubbard était plutôt mal placé pour se faire pardonner cette nouvelle bévue. Le 30 Juin, une commission d'enquête monta à bord du PC-815 dans le port de SanDiego. Hubbard nia évidemmentavoir commis la moindre faute : persuadé d' avoir le droit de manoeuvrer dans le secteur, il avait ordonné les exercices de tir dans le seul souci de parfaire l'entraînement de ses hommes. A la question de savoir pourquoi il était resté ancré pendant la nuit au large des îles, il répondit qu'il ne voulait pas "passer toute sa nuit sur la passerelle" parce que, précisa-t-il, "ses officiers de quart s'étaient déjà perdus trois fois". De son côté, le chef canonnier avoua sans se faire prier qu'il croyait lui aussi que les îles Coronados appartenaient aux États-Unis.. Après avoir longuement recueilli les témoignages de l' équipage, la commission d' enquête conclut que le lieutenant Hubbard avait désobéi aux consignes en ordonnant des exercices de tir et en ancrant illégalement son bâtiment dans les eaux territoriales mexicaines. Compte-tenu de la brièveté de son commandement, l'enquète demandait un simple blâme au lieu des mesures plus sévères qu'un tel manquement à la discipline aurait normalement justifié, mais elle recommandait aussi de le changer d' affectation.

C'est ainsi que le 7 Juillet 1943, au bout de quatre-vingts jours de commandement du bateau, Ron signa pour la dernière fois le livre de bord du PC-815. Le contre-amiral F A. Braisted, chef du commandement opérationnel de la flotte du Pacifique, nota le lieutenant L.R. Hubbard "au-dessous de la moyenne", en précisant : "Je considère cet officier dépourvu des qualités essentielles de jugement, d' aptitude au commandement et de coopération. Il agit sans réfléchir aux conséquences probables de ses actes.. Inapte à exercer un commandement ; ne mérite pas de promotion. Je recommande son affectation à un poste où il puisse être soumis à stricte supervision."

Réaffecté aux bureaux du QG. du Onzième District à San Diego, Ron se fit immédiatement porter malade sous divers motifs allant de la malaria à un ulcère du duodénum et à des douleurs dans le dos. Admis à l'hôpital naval, où il resta près de trois mois sous observation, il informa sa famille qu'il était hospitalisé pour de graves blessures subies en ramassant un obus non éclaté sur le pont de son navire - l'obus ayant explosé pendant qu'il le jetait par-dessus bord... En Décembre 43, après une période de six semaines au centre d'entraînement des bâtiments légers de San Pedro, en Californie, il fut affecté comme officier de navigation à bord de l'USS Algol, un cargo amphibie en cours de construction aux chantiers navals de Portland. Dans son journal intime, la perspective de retourner en mer ne lui procure aucun plaisir, pas plus qu'être dans la marine : "Ma seule chance de salut est d'attendre que tout cela finisse, note-t-il le 6 Janvier 1944, et d'écrire, d'écrire encore et toujours, de mener ma vie en fonction de la seule activité qui m' ait jamais réussi." Pendant que la guerre faisait rage dans le Pacifique et que les Marines tombaient par milliers pour reconquérir les îles naguère perdues, Ron passa les six premiers mois de 1944 à Portland en attendant la fin de la construction de l'Algol, démarrée en juillet 1944. Mais à mesure que le départ du navire pour les théâtres d'opérations se rapprochait, Hubbard perdait son enthousiasme pour les batailles navales. Le 9 Septembre, il demandait à suivre un cours d' administration militaire en citant, parmi ses qualifications, ses études d'ingénieur civil, son appartenance à l'Explorers Club, ses nombreux voyages en Extrême-Orient et son aptitude à "diriger les populations indigènes".

Le commandant de l'Algol approuva la demande, en notant que si le lieutenant Hubbard était un officier "capable et énergique", il était également "d'une susceptibilité excessive et sujet à des sautes d'humeur". Ron Hubbard débarqua donc le 28 septembre de l'Algol, qui devait appareiller le 4 octobre pour Eniwetok aux îles Marshall. Le navire participa ensuite aux débarquements de Luzon, aux Philippines, et d'Okinawa où il remportera deux flatteuses citations. Pendant ce temps, son ex-officier de navigation suivait un cours d'administration de quatre mois à l'École d' Application de la Marine de Princeton ce qui lui permettrait, ensuite, de prétendre avoir achevé ses études dans la vénérable université de ce nom. Pendant son séjour à Princeton, Hubbard fut invité à se joindre à un groupe d' auteurs de science-fiction qui, à la demande de la marine, se réunissaient tous les week-ends chez Robert Heinlein à Philadelphie avec pour mission d'inventer un moyen de déjouer les attaques des Kamikaze, les avions-suicides japonais.

"J'avais même l'ordre de trouver les auteurs les plus farfelus", se souvient Heinlein. L'appartement d' Heinlein se trouvait à trois cents mètres de la gare. Informé que Hubbard avait eu les deux chevilles brisées au cours du dernier bombardement de son navire, Heinlein avait des scrupules de lui faire parcourir cette distance à pied: "Ron a fait une guerre incroyable, expliquait-il avec compassion. Quatre naufrages, je ne sais combien de blessures..". Ses souffrances n' assombrissaient pourtant pas sa belle humeur car, après les séances de travail, Ron remplissait à merveille son rôle de boute-en-train; son répertoire d'histoires drôles et de monologues comiques faisait exploser son auditoire, ses bouleversants récits guerriers nécessairement vagues pour d'évidentes raisons de sécurité ne provoquaient pas de frissons rétrospectifs. Il ne sortit rien des réflexions du groupe Heinlein, mais cela n' avait plus d'importance car le Japon commençait à manquer d' avions comme de pilotes et la guerre tirait à sa fin La dernière attaque de Kamikaze eut lieu en Janvier 1945 contre les navires américains dont l'Algol investissant Luzon.

Le même mois, après avoir terminé ses cours dans la moyenne, Ron était muté au Centre naval de coordination des Affaires civiles à Monterey, Californie. En avril, il se faisait de nouveau porter pâle : les médecins diagnostiquèrent cette fois un ulcère. Le 2 Septembre, le Japon signait la capitulation. Trois jours plus tard, Ron était admis à l'hôpital naval d'Oak Knoll à Oakland, non pas pour de glorieuses blessures de guerre mais afin de se faire traiter pour des "malaises épigastriques". C' est dans cette situation peu reluisante que se termina la guerre du lieutenant de réserve L. Ron Hubbard, de l'US Navy. Il en donnera, bien entendu, une version très différente : "A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, aveugle et le nerf optique atteint, paralysé par de graves blessures au dos et à la hanche, j'étais un homme fini, sans avenir devant moi. J'étais abandonné par ma famille et mes ami, invalide probablement incurable à leur charge jusqu'à la fin de mes jours.. Je les entendais me répéter qu'on n'y pouvait rien, qu'il n'y avait plus d'espoir.

Et pourtant, j'ai réussi à recouvrer la vue et à marcher..."

S'il fallait se fier à sa propre interprétation de sa conduite pendant la guerre, Hubbard aurait en effet largement mérité les vingt et une décorations prétendues. Malheureusement, son dossier de l'US Navy ne fait état que de quatre médailles commémoratives : l'American Defense Service Medal, décernée à tous les hommes sous les drapeaux au moment de Pearl Harbour, l'American Campaign Medal, l'Asiatic Pacific Campaign Medal et la World War Two Victory Medal, accordée à tous les membres des forces armées en service le jour de la victoire


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