Ayant appris que L Ron Hubbard projetait de reprendre ses explorations et ses recherches, notamment sur les civilisations passées, de nombreux scientologues voulurent se joindre à lui pour l'assister. Leur groupe adopta le nom de Sea Organization [Organisation maritime]...
Déchargé de ses obligations envers l'Église et bénéficiant du soutien des premiers membres de la Sea Org, L. Ron Hubbard avait ainsi le temps et les moyens de confirmer l'existence dans l'univers physique de certains lieux et événements découverts au cours de ses voyages le long de la "piste de temps" (Mission into Time.)
En 1967, âgé de cinquante-six ans, sept fois père et plusieurs fois grand-père, pourvu d'une épouse dévouée, d'un château en Angleterre et de quatre enfants d'âge scolaire, L. Ron Hubbard arrivait au stade de la vie où la plupart des hommes songent à prendre racine en prévision d'une confortable retraite. Mais L. Ron Hubbard n'avait jamais été comme la plupart des hommes. En 1967, donc, il se constitua sa flotte personnelle, s'en bombarda Commodore, endossa un rutilant uniforme dessiné par lui-même et se lança avec ses navires sur les océans du globe, pourchassé par la CIA, le FBI, la presse internationale et un assortiment sans cesse renouvelé d'organismes maritimes et gouvernementaux dont ses faits et gestes éveillaient les soupçons.
Dès son retour de Rhodésie en juillet 1966, Hubbard avait entrepris de constituer l'Organisation maritime dans le plus grand secret. Désirant faire croire qu'il revenait à sa première profession, celle "d'explorateur ", il avait annoncé en Septembre sa démission de la présidence de l'Église de scientologie, assez solidement établie, prétendait-il, pour survivre sans lui. Afin de parachever sa mise en scène, il avait nommé une commission chargée d'évaluer les dettes contractées par l'Église envers son fondateur, somme arrêtée à quelque treize millions de dollars dont Hubbard, dans son insondable générosité, fit remise à ses fidèles. Toujours membre de l'Explorers Club, il sollicita ensuite l'autorisation de battre le pavillon du club pour "1'Expédition Hubbard d'études géologiques", qui se donnait pour objectif d'effectuer des relevés géologiques de l'Italie au littoral oriental de l'Afrique, en passant par la Grèce, l'Égypte et la mer d'Oman, dans le dessein de "dresser la carte géologique de cette région, berceau des plus anciennes civilisations de la planète.. et d'en tirer si possible des conclusions sur les formations géologiques favorables au développement de la civilisation ". Ce prétentieux charabia fit une assez forte impression sur l'Explorers Club pour qu'il accède à la demande de son illustre membre. (Le comité directeur devait gravement manquer de sens critique car il avait déjà accordé les honneurs du pavillon à Hubbard en 1940 pour son " expédition d'Alaska, ainsi qu'en 1961 pour une "Expédition archéologique océanique", totalement imaginaire, censée explorer les "cités englouties " des Caraïbes, de la Méditerranée " et des eaux voisines ".) La Hubbard Explorational Company Limited fut dûment enregistrée à Londres le 22 novembre 1966. Sous la houlette de Ron Hubbard, " chef des expéditions ", et de Mary Sue, secrétaire-trésorière, la compagnie avait notamment pour objet "l'exploration et l'étude des océans, mers, lacs, fleuves et terres de toutes natures dans toutes les parties du monde" . En fait, Hubbard n'avait pas plus l'intention de se livrer à des études géologiques que d'abandonner le contrôle de l'Église de scientologie et ses juteux revenus. Il ne cherchait qu'à se dégager des entraves imposées à ses activités et à ses ambitions par d'importunes bureaucraties. Il voulait jouir d'une liberté totale dans un domaine bien à lui, tout en restant relié à ses opérations terrestres par un système perfectionné de communications codées dans le but, tout à fait terre à terre cette fois, de propager la Scientologie dans le monde sous couvert de cours de " management " et de gestion des affaires. A la fin de 1966, la Sea Org acquit secrètement son premier bateau, l' Enchanteur, schooner de quarante tonneaux dont le fidèle Ray Kemp voulut bien assumer la copropriété fictive. La Hubbard Explorational Co. Ltd acheta peu après l' Avon River, vieux chalutier rouillé de quatre cents tonneaux en mouillage à Hull, important port de pêche au nord-est de l' Angleterre. Hubbard s'envola ensuite pour Tanger afin de "poursuivre ses recherches tandis que Mary Sue et les enfants restaient à Saint Hill.
Avant son départ, Hubbard avait laissé ses instructions aux membres du " projet maritime" parmi lesquels Virginia Downsborough, une jeune New-Yorkaise " auditrice à Saint Hill depuis près de trois ans. (Virginia n' avait jamais très bien compris à quoi elle devait l'honneur d'appartenir au cénacle, sinon qu'elle venait d'une famille de marins et savait faire des noeuds, principale activité du groupe à ses débuts.) Hubbard lui remit donc une enveloppe contenant ses ordres : " Je devais me rendre à Hull préparer l' Enchanteur et le conduire à Gibraltar où il serait remis en état... Je suis partie le lendemain. Les scientologues étaient dressés à obéir aux ordres, quelles que soient les difficultés de la tâche à accomplir, leur manque de moyens ou de qualifications pour la mener à bien. Ancienne éducatrice titulaire d'une maîtrise d'enseignement, Virginia s' exécuta cependant sans la moindre hésitation. Il fallut une quinzaine de jours pour préparer le bateau à prendre la mer et l' Enchanteur leva l'ancre au Nouvel An, avec un équipage composé d'un skipper professionnel engagé pour le voyage et de quatre scientologues qui mettaient pour la première fois le pied sur un bateau. Comparée aux futures mésaventures navales de la Sea Org, la traversée se serait passée relativement bien si l'Enchanteur n'avait perdu son carburant au large des côtes portugaises. Après une brève escale à Porto pour refaire le plein, le schooner et son équipage arrivèrent sans autre incident à Gibraltar, où le correspondant d'Hubbard à Tanger leur apprit que Ron était malade et qu'ils devaient continuer jusqu'à Las Palmas, aux Canaries, où Hubbard les rejoignit en piteux état. Virginia alla le lendemain prendre de ses nouvelles : " Quand je suis entrée dans sa chambre d'hôtel, j' ai vu des médicaments partout. Après l'avoir si souvent entendu dire du mal de la médecine et des médecins, j'étais atterrée. Je ne savais pas ce qu'il avait, sauf qu'il était visiblement très déprimé...au point de me dire, je le cite en toutes lettres : "Je veux mourir."
En fait, Hubbard voulait être découvert dans cet état car il comptait bientôt annoncer qu'il avait accompli "une recherche d'une importance capitale baptisée le "Mur du Feu" . Il consignera sous le titre "OT3 ", pour "Thétan Opérant Section Trois, " les secrets d'un cataclysme ayant entraîné la décadence de la vie telle que nous la connaissons dans ce secteur de la galaxie".
Hubbard était " la seule personne depuis des millionsd' années à avoir précisément retracé le chemin traversant le "Mur de Feu et, de ce fait, son pouvoir d'OTavait connu un accroissement tel que son corps courait de graves dangers; il s'était d'ailleurs brisé le dos, un genou et un bras au cours de sa recherche...Si Hubbard n'avait à l'évidence rien de cassé, il avait besoin de soins. Virginia s'installa dans la chambre contiguë, lui prépara ses repas car il refusait de manger la cuisine de l'hôtel et s'appliqua surtout à le sevrer de ses drogues. Au bout de trois semaines d'efforts, elle parvint à le sortir du lit et à lui faire reprendre une activité à peu près normale. A peine fut-il sur pied que Mary Sue arriva de Saint Hill et chargea Virginia de trouver une maison à louer.
Toujours dévouée, l'ex-éducatrice devint cuisinière du ménage et confidente d'Hubbard qui, après que Mary Sue fut montée se coucher, lui parlait fort avant dans la nuit de ses premières femmes, Sara qu'il prétendait n'avoir jamais épousée et Polly qui avait, disait-il, lâchement abandonné, le malheureux infirme qu'il était à son retour de la guerre. Lorsque l'Enchanteur sortit enfin de cale sèche à Las P almas, Hubbard croisa longuement autour des îles Canaries à la recherche de l'or qu'il y avait lui-même enterré au cours de ses vies antérieures "
Il dessinait des cartes et nous envoyait à terre creuser des trous pour retrouver le trésor, se souvient Virginia. Je ne m'étais pastant amusée depuis longtemps. Ces activités devant,bien entendu, s'entourer du plus grand secret, Hubbard mit au point un système de codes élaborés applicables aux communications de la Sea Org et inonda Saint Hill de directives en ce sens.
En avril 1967, l'Avon River arriva à son tour dans le port de Las Palmas au terme d'une traversée que son skipper, le capitaine John Jones, décrira par la suite comme "la plus ahurissante de ma vie". Le chef mécanicien etlui étaient les seuls marins professionnels à bord : " Mon équipage se composait de vingt scientologues, incapables de distinguer un chalutier d'un autobus", racontera-t-il à un reporter du Daily Mirror à son retour en Angleterre. Le capitaine Jones aurait pourtant dû se méfier en signant son engagement, car il y était spécifié qu'il devrait se conformer aux règlements édictés dans l'Org Book, manuel de navigation rédigé par le Fondateur et considéré, par conséquent, comme une Bible infaillible. " A part les feux de position et la radio, je n'avais le droit de me servir d'aucun équipement électrique, pas même du radar On me disait que tout était dans l'Org Book et que je devais m'y conformer à la lettre. Conformément à ces directives, l'Avon River percuta la jetée en quittant le port de Hull; puis, à peine sorti de l'estuaire de la Humber, le navigateur scientologue, fidèle aux instructions de l'Org Book, avoua au capitaine qu'il était complètement perdu. Là-dessus, le scientologue le plus élevé en grade se prétendit seul habilité à donner des ordres, de sorte qu'à l'escale technique de Falmouth le capitaine et le chef mécanicien menacèrent de débarquer Il fallut de longs échanges de coups de téléphone avec Saint Hill pour que le capitaine reçoive des excuses et le scientologue l'ordre de regagner sa base, moyennant quoi l'Avon River poursuivit sa route jusqu'à Las Palmas où il occupa la cale sèche libérée par l'Enchanteur. Sa remise en état devait être exécutée par des membres de la Sea Org, parmi lesquels Amos Jessup, étudiant en philosophie et fils d'un rédacteur en chef du magazine Life.
Venu à Saint Hill en 1966 pour tenter d'arracher son jeune frère à la Scientologie, c'était lui, au contraire, qui avait été converti : " Quand j' ai appris que LRH cherchait du personnel pour un navire de communications, je me suis immédiatement porté volontaire.. A Las Palmas, personne à terre ne devait savoir que nous étions scientologues, il fallait dire que nous allions effectuer des recherches archéologiques pour la Hubbard Explorational Co... Le chalutier était dans un état de crasse et de vétusté épouvantable Nous l'avons sablé, repeint. nous avons installé des couchettes dans les cales ainsi que d'autres aménagements prévus par LRH.
Hubbard venait tous les deux jours surveiller ses ouvriers amateurs, qui n'allaient jamais assez vite ni ne travaillaient assez bien pour son goût. De nouveaux renforts arrivaient sans cesse, ce qui n'empêchait pas les erreurs et les retards de s'accumuler en provoquant les " coups de gueule redoutables et redoutés du Maître, qui distribuait aux coupables les punitions appropriées. Malgré sa "démission" de la présidence de l'Église de scientologie, Hubbard continuait en effet de lancer un flot ininterrompu d'édits et de règles disciplinaires. Il trouva même le temps d'enregistrer une bande magnétique dans laquelle il avertissait ses fidèles d'un complot mondial contre la Scientologie. C'était Mary Sue, toujours vigilante, qui en avait détecté la source dans une cabale de banquiers et de patrons de presse assez puissants pour manipuler des chefs d'État, parmi lesquels le Premier ministre britannique Harold Wilson... Tandis qu'Hubbard fulminait contre les conjurations internationales et l'inexpérience des novices chargés de remettre à flot l'Avon River, d'heureuses nouvelles lui parvinrent d'une équipe en "mission" en Grande Bretagne. (La moindre tâche exécutée sur ordre d'Hubbard était toujours pompeusement qualifiée de " mission" . Depuis plusieurs mois, deux hommes de confiance écumaient les ports européens à la recherche d'un gros navire, un paquebot de croisière par exemple, susceptible de devenir le vaisseau amiral de la Sea Org.
En septembre 1967, ils informèrent Hubbard qu'ils avaient déniché l'oiseau rare à Aberdeen : le Royal Scotsman, construit en 1936 et jaugeant 3 280 tonneaux, naviguait récemment encore sur la mer d'Irlande comme transport de bétail. Il était en bon état malgré son âge et l'achat pourrait se négocier aux alentours de 60 000 livres. Pour Hubbard, l'argent n'avait jamais compté: le centre de Saint Hill encaissait à lui seul 40 000 livres par semaine. Il instruisit donc ses émissaires d'engager les pourparlers et de faire le nécessaire sitôt l'achat conclu pour que le Royal Scotsman rejoigne les autres unités de la flotte à Las Palmas, où l'Avon River était toujours en cale sèche.
Impatient de nature, le Commodore bouillait devant la lenteur des travaux de l'Avon River, malgré la bonne volonté de ses trente-cinq ouvriers improvisés qui s'escrimaient sur le vieux rafiot de l' aube au crépuscule. Lorsque survint enfin le jour du lancement, l'opération fut loin d'être triomphale : alors même que le chalutier, tout frais repeint en blanc, glissait sur ses voies, on s' aperçut que rien n'avait été prévu pour le retenir, de sorte qu'il flotta à l'aventure jusqu'à ce qu'un bateau puisse le pousser vers une bouée d'amarrage. Pour comble d'indignité, on vit alors apparaître l'Enchanteur en remorque, qui était tombé en panne pendant une expédition à la recherche des trésors enfouis par le Commodore au cours de ses vies antérieures. Finalement, les deux bateaux furent en état de prendre la mer deux jours plus tard et mirent le cap sur Gibraltar.
Quant au Royal Scotsman, il était bloqué à Southampton par le Board of Trade, organisme responsable des navires immatriculés dans le Royaume-Uni. Le7 Novembre, l'homme de loi de la Scientologie, qui sollicitait le changement de classification du navire en " yacht de plaisance ", n'avait pu obtenir l'autorisation d'appareil1er pour Gibraltar faute de mise en conformité préalable avec les normes de la Convention internationale de sécurité en mer. Changeant aussitôt son fusil d'épaule, la Sea Org demanda la classification du Royal Scotsman en baleinier, volte-face trop subite pour ne pas éveiller les soupçons des autorités qui interdirent au navire de sortir du port sans avoir auparavant satisfait à la réglementation en vigueur. Informé à Gibraltar de ce fâcheux contretemps, Hubbard fustigea la stupidité des gens censés le servir et tonna contre les lois iniques qui lui interdisaient de faire ce qu'il voulait de son propre navire. Puis, sa fureur apaisée, il décida que la seule solution serait de se rendre en Angleterre avec un équipage trié sur le volet, de prendre possession du Royal Scotsman et de lever l'ancre en faisant la nique aux fonctionnaires obtus du Board of Trade.
Quelques jours plus tard, une étrange escouade demarins d'opérette débarqua du vol de Gibraltar à l'aéroport de Gatwick. Vêtus de bleu et coiffés de coquets bérets à pompons, ils étaient menés par un homme corpulent au teint rouge, le chef couronné d'une casquette de yachtman d'un modèle inconnu. Brandissant avec autorité un document couvert de cachets et de paraphes, l'homme à la casquette déclara au douanier de Sa Majesté qu'il commandait l'équipage chargé de convoyer un navire appartenant à la Hubbard Explorational company Ltd.
Le douanier jeta un bref coup d'oeil au papier et demanda distraitement : " C'est le même Hubbard que celui d'East Grinstead ? Bien sûr. répondit l'homme corpulent. M Hubbard est explorateur. Amos Jessup, qui se tenait juste derrière Hubbard, ne put qu'admirer son sang-froid.
Là-dessus, la troupe s' engouffra dans un minibus qui la conduisit directement sur un quai de Southampton, au pied du Royal Scotsman. "Nous avons regardé cet énorme bateau avec effarement, se souvient Jessup. Il faisait au moins trois étages de haut et plus de cent mètres de long... J' avais été nommé maître d' équipage sans avoir aucune idée de ce que cela voulait dire... Une fois à bord, LRH nous a fait asseoir sur l'escalier entre le pont A et le pont B et nous a dit : " Ne craignez rien. J'ai mené des navires plus grands que celui-ci, ce n'est pas plus difficile que de conduire une Cadillac, vous verrez." Après cela, j'avoue que nous nous sommes sentis un peu mieux. "Le Royal Scotsman fut alors le théâtre d'une activité fébrile. Une noria de camions apporta de Saint Hill des caisses et des classeurs, des taxis amenèrent des dizaines de volontaires munis d'un baluchon et du "contrat" d'un milliard d'années imposé par Hubbard à quiconque voulait servir dans la Sea Org. Mary Sue et les enfants clorent le défilé et s'installèrent dans les cabines du pont supérieur réservées à la famille. Diana avait maintenant quinze ans, Quentin treize, Suzette douze et le petit Arthur tout juste neuf. Ils avaient à bord quelques compagnons du même âge qui allaient bénéficier des lumières d'un précepteur. Mais les membres de l' équipage n'étaient pas tous volontaires. Tel était le cas de John Mc Master, tombé en disgrâce depuis peu. Sacré par Hubbard "pape de l'Église de scientologie ", il avait répandu la bonne parole de par le monde en attirant de si larges rassemblements que sa popularité et son influence grandissantes au sein du mouvement lui valurent la vindicte d'Hubbard.
Lors d'un passage à Saint Hill entre deux tournées, il avait été démis de ses titres, rétrogradé et condamné à repartir de zéro. Il évoquera plus tard ses souvenirs avec amertume en se référant à Hubbard sous le sobriquet de "Gros Lard :" J'ai reçu l'ordre de me présenter à Saint Hill un dimanche matin avec toutes mes affaires. J' ai dû monter à l'arrière d'un camion-plateau chargé de caisses sans que jesache où il allait... A Southampton, j'étais littéralement paralysé par le froid on était en Novembre, ne l'oubliez pas. Quand je suis monté sur la dunette, Gros Lard est apparu : " Ah. Vous avez quand même daigné venir "" Vous le voyez bien ", ai-je répondu " Si vous restez avec nous, je viens vous serrer la main". Se rendant alors compte que j'étais glacé, il s'est mis à brailler qu'on m'emmène immédiatement dans une cabine chauffée, où j'ai passé trois heures à me dégeler avant d'apprendre que je serai aide de cuisine. J'étais déjà trop habitué à la folie d'Hubbard pour me laisser abattre par cette nouvelle brimade. Hubbard engagea trois marins professionnels, dont un chef mécanicien, pour épauler son équipage d'amateurs et chargea Hana Eltringham, infirmière sud-africaine promue "officier d'éthique", de faire immatriculer d'urgence le Royal Scotsman en Sierra Leone afin de tourner l'interdiction du Board of Trade. Hana passa d'abord par Las Palmas chercher un avocat espagnol ayant déjà travaillé pour la Scientologie et se rendit avec lui à Freetown, la capitale, où il ne leur fallut que trente-six heures pour accomplir les démarches nécessaires.
Le 28 Novembre, munie des nouveaux papiers du bâtiment et du drapeau qu'elle avait pris la précaution d'acheter, Hana était de retour à Gatwick et regagnait Southampton en taxi. "J'ai immédiatement porté les papiers à LRH, qui était ravi de me voir revenue aussi vite Mais pendant qu'il lisait les documents, j'ai senti la terreur me gagner en le voyant froncer les sourcils." Avez-vous vu cela " a-t'il dit en me montrant le nom du navire Ils avaient oublié le "s", si bien que le nom était devenu Royal Scotman. Je commençais à bredouiller des excuses quand il a éclaté de rire et m' a secoué la main en disant : " Doubles félicitations ! Maintenant, le bateau a non seulement un nouveau pavillon mais un nouveau nom. Et il a donné aux peintres l' ordre d'effacer le s sur la coque, les canots et les bouées de sauvetage." Le lendemain, le Royal Scotman demanda l'autorisation d'appareiller à destination de Brest pour y subir des réparations. Les autorités portuaires de Southampton n' ayant pas le pouvoir de détenir un navire battant pavillon étranger, le vaisseau amiral de la Sea Org leva l'ancre pour une croisière inaugurale riche en péripéties : " Il y avait une forte tempête en Manche, se souvient Hana Eltringham - Nos moteurs ne tournaient pas rond. Un générateur a lâché à mi-chemin entre Southampton et Brest. Nous approchions de l'entrée de la rade quand nous avons été pris par un courant violent qui nous poussait vers les rochers. Malgré les stabilisateurs, le bateau roulait de plus en plus fort, gîtait jusqu'à vingt-cinqdegrés et se redressait à grand-peine. Hubbard hurlait au navigateur : "Changez de cap! Sortez-nous de là. " J'étais terrifiée et, de la manière dont il criait en se cramponnant à la main courante, je suis sûre que LRH l'était lui aussi"
Une fois éloignés de la côte, Hubbard nous a annoncé qu'il décidait de ne pas aller à Brest et de continuer notre route vers le sud.." Le lendemain, nous avons échappé de justesse à une autre catastrophe, poursuit Hana Eltringham. La nuit tombait quand nous sommes arrivés à l' entrée du détroit de Gibraltar par le couloir de navigation nord. La mer grossissait et la tempête a éclaté en un clin d'oeil. Lapression dans les canalisations hydrauliques a brutalement chuté, la commande du gouvernail sur la passerelle ne fonctionnait plus et le navire a commencé à dériver vers la côte marocaine.
Après avoir allumé les signaux de détresse, nous nous sommes escrimés à brancher la commande de secours sur la dunette... Pendant ce temps, Hubbard appelait Gibraltar à la radio en demandant qu'on envoie un remorqueur. Ils ont refusé! Sous prétexte que nous n'avions pas respecté notre plan de navigation en allant à Brest; ils disaient que nous n'aurions accès à aucun port britannique. LRH avait beau supplier, dire qu'il y avait des femmes et des enfants à bord, ils n'ont rien voulu savoiraccès à aucun port britannique. LRH avait beau supplier,dire qu'il y avait des femmes et des enfants à bord, ils n'ont rien voulu savoir. J'étais bouleversée... Finalement, nous avons réussi à brancher le gouvernail de secours... Je me cramponnais à la roue, le visage ruisselant de larmes,en me demandant ce que nous allions devenir. S'entendre refuser du secours par un port anglais me paraissait une telle énormité que j'en éprouvais mille fois plus de sympathie pour le Vieux... Personne ne voulait de nous ni de cet homme brillant et des trésors qu'il offrait à l'humanité ! Repoussé de Gibraltar, le Royal Scotman poursuivit sa route jusqu'à Monaco, où Hubbard espérait être mieux reçu car l'eau douce et les provisions commençaient à manquer. Le navire étant trop gros pour entrer dans le port, les autorités monégasques acceptèrent de le ravitail1er par vedettes et d'envoyer des mécaniciens réparer le gouvernail. Le Royal Scotman reprit ensuite la mer en direction de la Sardaigne et accosta à Cagliari, sa première escale depuis Southampton. Le navire à peine amarré, Hubbard reçut un câble qui provoqua une nouvelle crise de rage : pris dans une violente tempête au nord des Baléares, l'Avon River avait subi des avaries considérables. Le visage agité de tics, un doigt vengeur pointé sur la carte, Hubbard hurlait :" Qu'est-ce qu'ils faisaient là ? Qu'est-ce qu'ils faisaient là? John O'Keefe, l'infortuné scientologue bombardé commandant de l'Avon River, s'était embrouillé dans ses ordres au point de se trouver à des dizaines de milles au nord de son itinéraire prévu alors qu'il aurait dû passer au large des Baléares par le sud pour rejoindre le Royal Scotman en Sardaigne. Hubbard bouillait encore quand l'Avon River entra dans le port de Cagliari. Il refusa de parler à O'Keefe et nomma un comité qui le jugea coupable de manquement grave à son devoir, le dégrada et le condamna à travailler aux machines. O'Keefe, qui avait cru faire de son mieux pour sauver le bâtiment et l' équipage, en resta accablé. Cette succession d'incidents assombrit les festivités de Noël, après lesquelles le Commodore décida de retraverser la Méditerranée jusqu'à Valence, en Espagne voyage de huit cents kilomètres qui s'effectua cette fois sans encombre. Lorsque les deux navires furent amarrés côte àc ôte dans le port de Valence, O'Keefe osa revoir son amie Hana Eltringham. "Son état m'a bouleversée, se souvient-elle Il avait maigri de dix kilos, les joues creuses, les yeux cernés comme un squelette. Il m'a dit qu'il envisageait de partir et l'y ai pensé moi aussi. Pour la première fois, je me suis interrogée sur ce qui se passait. mais, au bout d'une semaine de réflexion, je n'ai pas pu me décider à tout lâcher. Je me disais qu'étant membre de la Sea Org, je devais lutter pour gagner ma liberté, que rien n'était facile et qu'il fallait apprendre à surmonter les obstacles. J'ai vécu des moments critiques, mais j'ai réussi à réprimer mon envie d'échapper à cette folie ambiante. "Stanley Churcher, l'un des trois marins professionnels du Royal Scotman, n'eut pas de tels scrupules de conscience. Embarqué à Southampton, ses compagnons de bord lui sortaient par les yeux en arrivant à Valence. Puni d'une "condition de doute " pour " désobéissance aux ordres, encouragement à la désertion et à la mutinerie et tentative de subornation du chef mécanicien , il déclara en termes non équivoques aux officiers scientologues ce qu'il pensait de "leur charabia" et fut renvoyé séance tenante. De retour en Angleterre, il s' empressa d'aller raconter son histoire à People, magazine à scandale parmi les plus croustillants du Royaume-Uni, qui en fit ses choux gras et la publia sous la manchette "Ohé dubateau. La croisière en folie", avec des photos du Royal Scotman et du "Commodore Hubbard, patron de la secte du décervelage" que Churcher accablait de son mépris. " Il y avait sept officiers, dont quatre femmes, qui se pavanaient en uniformes couverts de galons et de dorures mais ne connaissaient rien à la navigation . Hubbard arborait quatre casquettes de modèles différents. Quant à sa femme, elle s'amusait à jouer au marin.
Tousles jours, ils tenaient des mystérieux conciliabules auxquels nous n'avions pas le droit d'assister. Comme j'étais curieux de savoir ce qui se passait, je leur ai proposé de leur apprendre la navigation et ils étaient tellement contents qu'ils m'ont offert un cours de Scientologie gratuit. Ils m'ont fait passer un test avec une sorte de détecteur de mensonge qu'ils appellent un électromètre et une femme a commencé à me poser des tas de questions personnelles, y compris sur ma vie sexuelle. Il y avait dans les élèves une femme de soixante-dix-sept ans qui m' a dit que quand elle mourrait, M. Hubbard lui donnerait un nouveau corps...
Allez comprendre!