" Je mène une vie plutôt monotone, ces temps-ci. J' ai gagné au poker le château du Maharajah de Jaïpur."
(Note du Dr L. Ron Hubbard dans l'Explorers Journal, Février 1960.)
Bâtiment de style géorgien, Saint Hill Manor est à trois kilomètres de la petite ville d'East Grinstead, dans le Sussex. La douceur de la campagne environnante et sa proximité de Londres y ont attiré la noblesse de Cour, qui s'était fait bâtir au XVIIIe siècle quelques jolis petits manoirs.
Construit en 1773, Saint Hill Manor n'était pas un chef d'oeuvre d' architecture : on trouve souvent sa façade de pierre grise plutôt rébarbative. Il s'enorgueillissait toutefois d'un parc de vingt hectares avec un étang et des massifs de rhododendrons, une salle de bal à colonnes de marbre, onze chambres, huit salles de bain et une piscine. Le Maharajah avait fait de gros frais pour moderniser la décoration intérieure en commandant à John Spencer Churchill une fresque pour un des salons, mais il n'y venait que rarement. Sa fortune ayant diminué après l'indépendance de l'Inde, il dut vendre; l'acheteur qui se présenta était L.Ron Hubbard. L'arrivée d'une famille américaine à Saint Hill Manor au Printemps 1959 fit presque autant sensation que celle du Maharajah quelques décennies avant. Le journal local envoya Alan Larcombe interviewer le nouveau châtelain qui parla longuement de lui-même. Enthousiaste, Larcombe évoqua "l'oeuvre humanitaire mondialement connue du Dr Hubbard " et retraça les grandes étapes de la vie du héros, en commençant par ses chevauchées dans les plaines du Montana. " Quand son grand-père lui légua d'immenses propriétés hypothéquées, il sut les remettre sur pied avant de se lancer dans des romans, scénarios, etc. Cet héritage n'avait pas encore fait la Une des mensonges hubbardiens, pas plus que sa passion pour la botanique : "Le Dr Hubbard, écrivait Larcombe, poursuit des recherches sur la mutation des plantes. En bombardant les graines avec des rayons X, il peut en retarder ou accélérer la croissance."
L'atmosphère bucolique de la campagne anglaise et la présence à Saint Hill Manor de serres bien garnies suffisaient-elles à muer Hubbard en expert du jardinage ? Ses expériences horticoles visaient plutôt à détourner l'attention du véritable motif de son achat: faire du château le siège mondial de la Scientologie... nouvelle au minimum prématurée, estimait-il avec raison, pour l'opinion publique d'East Grinstead. En Août, le " Courier " d'East Grinstead annonça que le Dr Hubbard, "physicien nucléaire", produisait des plants de tomates géants et avait découvert que les rayons infrarouges protégeaient les végétaux contre le mildiou, découverte évidemment utile aux maraîchers. Ces prouesses ne tardèrent pas à attirer l'attention du magazine Garden News, à qui Hubbard confia, "entre jardiniers", sa conviction que les plantes étaient sensibles à la douleur. Il le démontra en branchant un électromètre sur un géranium et fit osciller l' aiguille en arrachant des feuilles. Le correspondant de Garden News qualifia Hubbard de " savant révolutionnaire dans le domaine de l'horticulture". La télévision et la grande presse se précipitèrent à leur tour à Saint Hill Manor pour interviewer le "savant ", qui se fit photographier penché sur une tomate lardée d'électrodes reliées à un électromètre, photo qu'on trouvera ensuite dans le magazine américain Newsweek pour la plus grande joie des lecteurs. Sceptique, le présentateur de la BBC-TV Alan Whicker demanda ironiquement à Hubbard s'il fallait interdire de tailler les rosiers pour leur épargner de souffrir, mais Hubbard éluda le piège en répondant que certaines opérations chirurgicales douloureuses étaient néanmoins indispensables. Quant aux scientologues qui se posaient des questions, ils furent rassurés sur les étranges expériences de leur leader en apprenant qu'elles étaient destinées " à reconstituer les réserves alimentaires mondiales". Peu après l'arrivée du Docteur Hubbard à Saint Hill Manor, l'Église de scientologie commanda un buste du fondateur au sculpteur Edward Harris. Aimant faire parler ses modèles pendant les séances de pose, Harris demanda à une de ses amies, Joan Vidal, de venir à son atelier animer la conversation. "Avec ses joues roses et ses cheveux roux clairsemés, se souvient -elle, il m'avait l'air du gros cochon rose lustré. Une des premières choses qu'il m'ait dites c'était qu'on entendait les tomates hurler de douleur quand on les coupait : du coup, il n'en mangeait plus. Il me parlait surtout des souffrances des légumes et de ses vies antérieures. Il semblait avoir beaucoup lu et je l'ai trouvé intelligent, distrayant. Le buste terminé, il nous a invités à dîner à Saint Hill avec Mary Sue... une femme terne et froide. Les travauxde la maison n'étant pas finis, ils nous ont fait dîner à la cuisine... où nous avons été servis par une femme en blouse et chaussures blanches, comme une infirmière. On n'a bu que de l'eau ou du Coca-Cola et le repas était infect : poisson surgelé et légumes bouillis suivis d'une glace fadasse, alors qu'il avait un énorme steak débordant de son assiette ! Tout tournait autour de lui, il exerçait un pouvoir absolu il me rappelait Oswald Mosley [le fondateur de l'ancien parti nazi britannique]. Nous ne nous sommes pas attardés. En arrivant à la gare de Victoria, Eddie et moi avions tellement faim que nous avons foncé au buffet dévorer des sandwiches. En Octobre, le savant Dr Hubbard dévoila un autre de ses nombreux sujets d'intérêt en se portant volontaire pour le poste, désormais vacant à East Grinstead, de "Coordinateur de la sécurité routière ". Son ardent désir de se rendre utile à ses concitoyens, son expérience au sein de "nombreuses commissions de sécurité aux States" et ses suggestions sur les mesures à adopter pour réduire les accidents de la circulation eurent beaucoup de succès. Il ne fit qu'un court séjour à la sécurité routière car il partit en novembre pour l' Australie porter la bonne parole aux scientologues de Melbourne... qui lui réservèrent un accueil d'autant plus enthousiaste qu'il se déclara convaincu que l'Australie serait le premier "Continent Clair ". Entre les conférences, il discutait avec les dirigeants de l'HASI locale sur les méthodes pour convertir les travaillistes et les syndicats aux techniques scientologiques. Grâce à ça, les travaillistes gagneraient à coup sûr les prochaines élections, ce qui créerait un climat favorable à l'expansion de l'Eglise et permettrait de contrer l'hostilité virulente de la presse australienne.
Pendant son séjour à Melbourne, Hubbard reçut une très mauvaise nouvelle de Washington : Nibs désertait "l'Org" (abrévation pour l'Organisation, c'est à-dire l'Église), crime sans nom pour un scientologue. Une telle trahison de la part d'un des plus hauts dignitaires, fils et homonyme du fondateur de surcroît, était proprement inconcevable car Nibs occupait cinq postes élevés dans la hiérarchie de l'Organisation, dont celui de membre du "Conseil international ".
Malgré ses titres ronflants, Nibs était profondément frustré de voir que la Scientologie ne lui rapportait rien. Dans sa lettre de démission, il expliquait à son père que sa défection était provoquée par son manque d'argent chronique : " Ces dernières années, j'ai de plus en plus de mal à assurer juste de quoi vivre à ma famille et à moi-même: cette situation ne peut pas durer. Je n'ai peut-être pas su gérer mes affaires financières aussi bien qu'il aurait fallu, mais j'ai épuisé toutes mes réserves et je me suis trop endetté. Hubbard piqua sa crise contre ce fils qui ne tenait de lui que son inconscience en matière d'argent sans, malheureusement, avoir hérité de ses talents pour en faire. Nibs annonçait son intention de chercher un emploi mais espérait continuer à pratiquer la Scientologie à ses moments perdus. C'était ignorer la combattivité de son père, qui ne lui permettra jamais de tirer le moindre profit de son oeuvre : le 25 Novembre, il écrivit à Marylin Routsong : " Si Nibs essaie de s'installer à son propre compte ou de provoquer une scission, faites annuler tous ses 'diplômes'. Il ne sera jamais réengagé chez nous. Quelques jours plus tard, Hubbard reçut d'autres mauvalses nouvelles familiales : sa tante Toilie lui téléphona de Bremerton pour lui apprendre que sa mère, alors âgée de soixante-quatorze ans, avait eu une attaque cérébrale : elle était mourante. Depuis la fin de la guerre, Hubbard n'avait pratiquement plus eu aucun contact avec ses parents et la famille Waterbury; seule Toilie s'efforçait de ne pas couper tout lien en lui écrivant une ou deux fois par an et c'est donc elle qui avait été chargée de retrouver la trace de Ron quand May avait été transportée à l'hôpital. Dans la friture de la communication intercontinentale, elle entendit son neveu répondre qu'il était "trop occupé" pour venir. Malgré son âge, Toilie n'avait rien perdu de sa vivacité de jeune fille : "Tu vas prendre le premier avion, Ron, dit-telle. C'est un ordre! Tu ne peux pas faire moins pour ta mère et je prie le Seigneur que tu arrives avant qu'elle ne meure "
Quand Hubbard débarqua à Bremerton, sa mère était déjà dans le coma Il se rendit à son chevet, lui parla en lui tenant la main et dit ensuite à sa famille qu'il était sûr qu'elle avait été consciente de sa présence. May rendit le dernier soupir le lendemain. "Ron n'est pas resté pour l'enterrement, se souvient sa tante Marnie. Il a organisé les obsèques, payé la pierre tombale et fait venir un homme de son "église de scientologie " pour escorter le cercueil avec Hub et Tolie jusqu'à Helena, où May voulait être enterrée ; lui est reparti aussitôt après en Angleterre. Je ne sais vraiment pas ce qu'il y avait de si urgent là-bas pour qu'il n'assiste même pas à l'enterrement de sa propre mère.
En Mars 1960, les gens d'East Grinstead découvrirent un autre aspect de leur coordinateur de la sécurité routière lorsqu'il publia " Have You Lived Before This Life ? " (Avez-vous vécu avant cette vie ?), ouvrage dans lequel il décrivait des " vies antérieures révélées au cours de séances d'audition. Un sujet avait jadis été morse, un autre poisson, un troisième disait avoir assisté à la destruction de Pompéi en l'an 79 tandis qu'un quatrième avait été "un être très heureux, égaré sur la planète Nostra il y 23 064 000 000 d'années". Le Courier d'East Grinstead titrant sur les controverses ainsi soulevées en ville, Hubbard en profita pour présenter la Scientologie à ses concitoyens par un communiqué de presse : "Trente ans durant, le Dr L. Ron Hubbard et ses collaborateurs hautement qualifiés ont mené des recherches scientifiques sur la Dianétique et la Scientologie, mais ce n'est que depuis 1950 que les connaissances acquises par l' étude approfondie du fonctionnement du mental humain ont pu être mises au service du public sous forme de traitements spécialisés...Le récent ouvrage du Dr Hubbard expose simplement les résultats d'observations objectives. Dans une note intérieure à son attaché de presse, Hubbard disait de toujours mettre l'accent sur le fait que son travail s'exerçait dans le cadre de la "physique nucléaire appliquée aux sources de la vie et à l'énergie vitale "afin d'éviter la confusion entre Scientologie et psychanalyse ou spiritisme. "Ce ne sera peut-être pas facile", ajouta-t-il dans un éclair de lucidité. Hubbard n'avait cependant pas trop à se soucier des réactions d'East Grinstead, où le temps qu'il faisait et les nouvelles de la famille royale intéressaient les habitants depuis des temps immémoriaux bien plus que ce qui se passait à Saint Hill Manor. Au Printemps 60, avec la naissance en Février du troisième rejeton de la reine, le prince Andrew, et le mariage de la princesse Margaret en Mai, les affaiures royales étaient particulièrement palpitantes. Les pubs résonnaient aussi de propos salaces sur le prochain procès en obscénité intenté au chef-d'oeuvre de D.H. Lawrence, L'Amant de Lady Chatterley - un événement que Mary Sue suivait de près car son époux, en l'auditant, lui avait découvert une vie antérieure comme... D.H. Lawrence! Dans une lettre à son amie Marylin Routsong, Mary Sue exposait les problèmes du grand écrivain qui, selon elle, avait du mal à bâtir ses intrigues, méprisait la poésie et ne croyait guère à la valeur de ses propres écrits. Forte de l'expérience littéraire de sa précédente incarnation, Mary Sue annonçait avec force fautes de syntaxe et d'orthographe son intention de démolir le Christ dans un livre qu'elle s'abstiendrait de signer de son nom pour d'évidents motifs. Dans la même lettre, elle racontait le remue-ménage à Saint Hill Manor parce que Ron voulait contrôler tout le personnel à l'électromètre. Le refus de huit employés à s'y soumettre signifiait à coup sûr, disait-elle, " qu'ils avaient quelque chose à cacher ". Les "contrôles de sécurité" périodiques imposés par Hubbard dans le but de démasquer espions, dissidents et autres fauteurs de troubles, étaient devenus pratique courante dans tout le mouvement scientologue, où nul ne doutait de la capacité de l'électromètre à déceler les émotions les plus intimes de l'individu. Cette manie du contrôle trahissait surtout la parano chronique d'Hubbard qui se croyait environné d'ennemis - qui n'existaient que dans sa tête. En dépit de la répugnance des serfs hubbardisés à raconter leur vie privée devant ce mystérieux appareil, les Hubbard menaient grand train au Manoir. Il leur fallait déjà sept personnes pour les servir : secrétaire, intendante, cuisinière, maître d'hôtel, valet de chambre, plus la nurse et le précepteur des enfants. Hubbard avait transformé la salle de billard, donnant directement sur le hall d'entrée, en luxueux bureau; les salons étaient aménagés en appartements privés ; celui doté de la fresque de John Spencer Churchill servait de salle d'études et de jeux pour les enfants. La plupart des autres pièces servaient de bureaux. Les Hubbard n'avaient encore jamais habité si longtemps au même endroit : leurs enfants en étaient enchantés ; ils jouaient à cache-cache dans les couloirs, exploraient le parc, pataugeaient dans l'étang. Diana et Suzette prenaient des cours de danse deux fois par semaine. Les parents aimaient promener sur leurs terres en prenant des photos, nouveau hobby d'Hubbard dont les oeuvres encadrées, généralement des portraits et des paysages, décoraient les murs pour attirer les commentaires flatteurs même si la mise au point laissait parfois à désirer. Un visiteur non averti n'aurait alors rien trouvé à redire sur cette famille de bourgeois américains bon teint menant la vie de château dans un manoir anglais. Personne ne se doutait qu'Hubbard jouissait de l'exceptionnelle distinction d'être le seul châtelain britannique sous surveillance permanente du FBI, où son dossier ne cessait d'épaissir. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, car le flot des bulletins et "lettres de règlements " de Saint Hill Manor à destination des scientologues du reste du monde ne pouvait rester ignoré des espions de J Edgar Hoover, patron de la CIA.
Par exemple, le 24 Avril 60, Hubbard expédiait à ses "franchisés " des US une circulaire leur recommandant de tout mettre en oeuvre pour barrer la route de la présidence à " un individu nommé Richard M. Nixon" . Il justifiait ses exigences de guerre par le fait qu'après avoir innocemment mentionné le candidat républicain dans un magazine de la Scientologie, deux agents du Service secret avaient fait irruption sur ordre de Nixon dans les locaux de l'Église de Washington et terrorisé le personnel. "Nous voulons des élus aux mains propres. Commençons par interdire à Nixon d' accéder à la présidence des États-Unis, quoi qu'il fasse pour nous empoisonner ". Si Nixon ne fut pas élu, c'est probablement davantage à cause de son débat télévisé avec Kennedy qu'en raison des bulletins d'Hubbard. Le châtelain de Saint Hill se considérait toutefois investi d'importantes responsabilités dans la vie politique internationale : en Juin, un autre bulletin spécifiait comment les scientologues devaient exercer leur influence : "Inutile de se faire élire, il suffit d'obtenir un poste de secrétariat ou de garde du corps ". Ainsi abritée dans l'ombre du pouvoir, la Scientologie pourrait avantageusement transformer le système de l'intérieur. En Août, il annonça la création d'un "Département des affaires gouvernementales " rendu nécessaire, expliquait-il, par le temps que les principaux dirigeants du mouvement devraient de plus en plus consacrer à la politique face à la désintégration des gouvernements dans le monde sous la double menace du communisme et de la guerre nucléaire. "Ce Département a pour but d'amener les gouvernements ou les sociétés hostiles à se conformer aux principes de la Scientologie, par la ruse ou la force si nécessaire. " Reprenant un de ses thèmes favoris, Hubbard exigeait que ses troupes défendent la Scientologie en attaquant l'adversaire : "Si qui que ce soit, individu ou organisation, vous attaque sur un point vulnérable, vous devrez trouver ou fabriquer de quoi les menacer jusqu'à ce qu'ils implorent la paix. Il ne faut jamais se défendre, toujours attaquer.. Comme beaucoup d' autres "créations " d'Hubbard, le "Département des affaires gouvernementales " n'exista que sur le papier. Mais cela importait peu : les innombrables paperasses émanant de " l'Office des Communications Hubbard ", le " HCO", avec toutes les fioritures d'une bureaucratie officielle (couleurs codées, diffusion sélective, références chiffrées, sigles, etc) donnaient à la Scientologie une image de puissante organisation internationale prête à intervenir pour sauver le monde du communisme, des armes atomiques et de ses propres folies. Souvent assis des nuits entières devant sa machine à écrire, comme à la grande époque de la Science-fiction, Hubbard produisait des tonnes de paperasses paraissant résulter de travaux assidus de comités d'experts. Leur présentation compliquée leur donnait une autorité qui ne résistait pas à un examen un peu soutenu, mais aucun scientologue n' aurait songé à mettre en doute le moindre mot, même idiot, écrit ou prononcé par Ron Hubbard.
En Mars 61, Hubbard lança un cours de prestige, le "Saint Hill Special Briefing Course ", destiné aux "auditeurs désirant bénéficier de son enseignement personnel ". Le prix était de 250 livres par personne et le premier à s'enrôler fut un certain Reg Sharp, homme d'affaires à la retraite, un des conquis par la Scien-tologie au point d'acheter une maison dans le hameau de Saint Hill pour être plus près du Maître. Les quinze premiers jours, le cours ne réunit que deux élèves mais ils affluèrent bientôt du monde entier, attirés par la garantie d'Hubbard en personne que tout un chacun allait "déterminer et évaluer à l'aide de l'électromètre les objectifs des gens pour leur vie entière ". En épouse bien dressée, Mary Sue agitait l'appât du gain devant les hésitants : " Celui qui ne conçoit pas qu'un auditeur roule autrement qu'en Cadillac ou en Rolls-Royce plaquée or ferait mieux de chercher une autre orientation. A mesure que le nombre d'élèves augmenta, la place manqua. Les serres ayant servi aux expériences horticoles d'Hubbard, furent rasées pour faire place à une "chapelle"... qui n'était qu'une salle de conférences. D'autres bâtiments s'édifièrent ainsi autour du manoir sans qu'Hubbard se soucie d'obtenir de permis de construire : ce qu'il faisait sur ses terres, déclarait-il, ne concernait que lui, opinion que les autorités locales furent loin de partager en découvrant les verrues qui parsemaient le paysage du parc. Elles finirent par imposer à leur encombrant voisin l'emploi d'un architecte et le respect des plans d'occupation des sols.
Entretemps, le "Briefing Course " (SHSBC) se renouvelait constamment grâce à une succession de "percées" techniques annulant les précédentes, ce qui imposait aux scientologues de revenir à Saint Hill actualiser leurs connaissances régulièrement. Quand il ne discourait pas, Hubbard écrivait des directives allant des méthodes pour sauver le monde jusqu'à la manière de faire le ménage dans son bureau (ou laver les vitres)! Aucun détail qui ne l'intéressât : on vit apparaître : une " lettre de règlements ", affichée dans le garage, expliquant comment laver les voitures; une autre, à l'usage de la " section domestique", précisait les soins à prodiguer aux fleurs. Il trouva même le temps d'enrichir sa biographie de nouveaux épisodes à sa gloire en l'incorporant dans la brochure "Qu'est-ce que la Scientologie ".
"Depuis des siècles, les savants cherchent à appliquer leurs connaissances de l'univers à l'Homme et à ses problèmes. Soucieux d'aider l'Humanité, Newton, Einstein et les autres ont tenté de découvrir les lois du comportement humain. Développée par le Dr L. Ron Hubbard, physicien nucléaire, la Scientologie a atteint cet objectif. Diplômé de physique avancée et de mathématiques supérieures, élève de Sigmund Freud, le Dr Hub-bard a entrepris ses recherches depuis trente ans à l'Université George Washington. La Scientologie en est l'aboutissement...Ce souci d'aider l'humanité collait mal avec la multiplication des contrôles de sécurité, à l'aide d'un questionnaire mieux adapté au dépistage d'obsédés sexuels et de criminels que d'éventuels dissidents. On y retrouvait bon nombre des obsessions cinglées d'Hubbard : " As-tu déjà eu des rapports sexuels avec un membre de ta famille , "As-tu déjà assassiné quelqu'un (sic) ou encore : "As-tu déjà acheté illégalement des diamants ? " (re-sic) !
Hubbard exigeait aussi de savoir si l'individu contrôlé avait jamais eu des "pensées critiques " envers lui-même ou Mary Sue. Sur son ordre, les rapports des contrôles étaient centralisés à Saint Hill et inclus dans le dossier individuel de chaque scientologue, dont Hubbard connaissait ainsi les pensées les plus secrètes.
Peu après Noël 61, Hubbard partit à Washington assister à un congrès et vendre son "Cours spécial ". Il se fit accompagner par Reg Sharp, ahuri de voir à l'escale technique de Boston son patron vénéré se coller dos au mur et n'en plus bouger jusqu'au redécollage car, expliqua-til, "on voulait le tuer " A Washington, en revanche, Sharp put constater la vénération envers lui. Pendant le congrès, Hubbard prit la parole quatre heures par jour avec l'aisance et le métier d'un comédien professionnel : il en utilisait toutes les ficelles. Sa vigoureuse campagne de promotion en faveur de Saint Hill, présenté comme La Mecque de la Scientologie, incita des centaines de jeunes Américains à prendre le chemin d'East Grinstead, à la surprise des autochtones qui n'avaient qu'une vague idée de ce qui se passait au château. Depuis quelque temps, le "Dr Hubbard" adoptait un profil bas; il avait démissionné de ses fonctions de coordinateur de la sécurité routière, incompatibles, disait-il, avec les exigences de ses affaires; il sortait peu de son parc et ne courtisait plus la presse. En ville, on vit donc plutôt d'un bon oeil l'afflux de visiteurs américains discrets, courtois et parfois dépensiers. S'ils se montraient peu bavards sur les raisons de leur présence, on n'entendait guère protester car le respect de la vie privée fait partie des traditions locales. Le conseil municipal d'East Grinstead rappela quand-même que Saint Hill Manor était classé en zone d'habitation, mais la réputation du Dr Hubbard était telle qu'on se borna à lui demander de régulariser. Hubbard déposa alors une demande de permis de consruire pour un centre administratif de soixante-quinze pièces puis, soucieux de l'opinion publique, il fit circuler un "rapport confidentiel" où il disait "entre amis " aux habitants de la région une nouvelle dont il leur "réservait la primeur car ils avaient le droit de savoir ce qui se passait à leur porte" : ses dernières recherches sur les "énergies vitales" lui permettraient bientôt de "réduire l'âge physiologique d'un individu d'au moins vingt ans et d'allonger la durée de la vie de 25%. En Août 62, Hubbard consacra ses efforts à un sujet plus ambitieux : le président Kennedy ayant convié les forces vives du pays à envoyer un homme sur la Lune avant la fin de la décennie, Hubbard ne pouvait faire moins qu'offrir son concours. Il écrivit longuement à la Maison-Blanche, expliquant au Président que les techniques de la Scientologie étaient particulièrement adaptées à l'exploration de l'espace, car elles accroissaient la perception sensorielle des astronautes et leur résistance physique au-delà des limites humaines. A l'appui de ses dires, Hubbard affirmait avoir entraîné "l' équipe olympique britannique " qui avait donc battu des records. Il ajouta qu'il repoussait depuis des années les avances des Soviets, qui lui proposaient dès 1938 les laboratoires de Pavlov. Son premier manuscrit lui avait été volé à Miami en 1942, le second à Los Angeles en 1950 et les communistes avaient dérobé, "pas plus tard que la semaine dernière", quarante heures de bandes magnétiques contenant les derniers travaux de recherche accomplis par la Scientologie en Afrique du Sud. S'il se disait convaincu de l'existence d'une importante bibliothèque scientologique en URSS, les Soviétiques ne disposaient heureusement pas des connaissances avancées applicables aux programmes spatiaux. Il suffisait par conséquent que le gouvernement américain lui envoie les astronautes à conditionner, la Scientologie se chargerait du reste. Chaque homme devrait subir environ deux cent cinquante heures de formation à vingt-cinq dollars l'heure, avec remises éventuelles par lots. Et il concluait par un avertissement solennel :"Sans nous, l'Homme ne réussira pas les Missions dans l'Espace. Nous ne voulons pas voir les États-Unis perdre la course spatiale, encore moins la prochaine guerre. L'issue de cette course se trouve actuellement entre vos mains et dépendra de la suite que vous donnerez à cette lettre. Hubbard espérait sérieusement, semble-t-il, que sa proposition serait acceptée par la Maison-Blanche. Moins de quinze jours plus tard, en effet, il débarqua à Washington afin d'examiner avec ses collaborateurs comment faire face à un soudain afflux d'astronautes, auquel cas il reviendrait de Saint Hill organiser une opération spéciale. Pendant son voyage de retour avec Reg Sharp en première classe à bord du Queen Elizabeth les deux hommes passèrent l'essentiel de la traversée à s'auditer mutuellement. Hubbard révéla à son ami qu'au cours d'une vie antérieure sur une autre planète, il avait dirigé une usine produisant des humanoïdes métalliques qu'il vendait aux Thétans et qu'il devait consentir une sorte de location-vente à ceux qui ne pouvaient pas payer comptant...A Saint Hill, Hubbard attendit la réponse du Président et constata - fort étonné - qu'elle ne vint jamais. Il ne comprit la raison de ce silence que quelques mois plus tard, en apprenant que la Food and Drug Administration avait fait une descente au siège de la Scientologie à Washington. Il comprit alors que, chargée par le Président de l'informer sur la Scientologie, la FDA voulait la discréditer pour promouvoir ses propres programmes spatiaux. Mais ces fonctionnaires d'enfer ne l'emporteraient pas en Paradis!