" L. Ron Hubbard reçut de nombreuses distinctions... Doctorat honoraire en Philosophie, décerné en témoignage de son exceptionnel travail sur la Dianétique et de l'exemple ainsi donné à tous ceux ayant fait ensuite des études approfondies dans ce domaine. "(Mission into Time, 1973.)
Début Avril 52, Hubbard chargea ses possessions dans son cabriolet Pontiac et prit avec sa femme la route de l'Ouest en direction de Phoenix, Arizona, à quelque 1 500 kilomètres de Wichita. De loyaux supporters y avaient déjà accroché, à la porte d'un petit bureau de North Central Street, une enseigne proclamant que les lieux abritaient le siège de l' Association Hubbard des Scientologues. La ville de Phoenix avait pris le nom de l'oiseau mythologique qui renaît de ses cendres parce qu' elle s'était édifiée sur les ruines d' un ancien village indien; rien ne pouvait mieux convenir à l' apparition de la nouvelle " science ", née des cendres de la Dianétique. Hubbard croyait avoir inventé le terme de Scientologie en combinant le verbe latin sapere (les scientologues mettent 'scio'), connaître, et le mot grec logos, étude. Ce mot avait déjà été inventé en 1934 par un philosophe allemand, le Doktor A. Nordenholz, auteur d' un traité intitulé "Scientologie, Wissenschaft von der Beschaffenheit und der Tauglichkeit des Wissens", c'est-à-dire Scientologie, Science de la Structure et de la Validité de la Connaissance. C' est improbable qu'Hubbard ait plagié Nordenholz, car son livre n' avait jamais été traduit en anglais et Hubbard n'avait que quelques mots d'allemand en tête..
Hubbard présentait la Scientologie en suite logique de la Dianétique ce qui lui permettrait de conserver son fonds de commerce si les tribunaux décidaient d'attribuer la Dianétique et ses "copyrights " à Don Purcell, l'ennemi détesté. La différence entre les deux était censée se situer dans le fait que la Dianétique s'adressait avant tout au corps et la Scientologie à l' âme : avec sa modestie coutumière, Hubbard proclamait en effet qu'il avait découvert " la preuve irréfutable et scientifiquement démontrée de l'existence de l'âme .La nouvelle "science " était basée sur une comsologie gravitant autour de l'idée que le véritable moi de l'individu était une entité immortelle, omnisciente, omnipotente, à laquelle Hubbard donnait le nom de Thétan. Existant dès avant le commencement des temps, les Thétans occupaient et rejetaient des millions de corps depuis des milliards d'années. Tripatouillant l'univers pour leur plaisir, ils s'étaient pris à leur propre jeu au point d'en arriver à se prendre pour leurs propres corps. La Scientologie était censée rétablir les capacités de Thétan de chaque être humain à son niveau d'origine, celui de Thétan Opérant (ou Opérationnel, selon les dates et les versions traduites, ndt), ou " OT ", état encore "inconnu sur Terre " Tout prouve que ni Bouddha ni Jésus-Christ n'étaient OT, affirmait Hubbard, mais à peine supérieurs à Clair. Hubbard exposa ses théories pendant l'été 52 devant un public surtout composé de dianéticiens convaincus n'ayant jamais douté de son génie et acceptant tout ce qu'il disait sans discuter. S'il fallait valider un point ou un autre, il faisait intervenir son postulat des " vies antérieures ", désormais intégré aux procédures d'audition. Les Thétans ne se limitant évidemment pas à notre seul univers, les séances d' audition faisaient surgir d'innombrables récits de voyages dans l'espace et d' aventures survenues sur d'autres planètes, anecdotes étrangement similaires à celles des récits d'Astounding et autres magazines auxquels l'inventeur de la Scientologie travaillait encore récemment. La réalité des vies antérieures trouvait une confirmation inattendue dans les oscillations de l'aiguille de l'électromètre, immédiatement adopté pour aider la science. Inventé par un dianéticien nommé Volney Matthison, l' électromètre était en fait un instrument de mesure des variations de conductivité de la peau sous l'effet d'un stimulus ou d'un stress, à qui fut très vite donné le pouvoir quasi mystique de déceler les pensées les plus intimes d'un individu. L'appareil devint donc importante source de bénéfices, aucun scientologue digne de ce nom ne pouvant se passer de son électromètre fourni exclusivement par l'Association. La Scientific Press of Phoenix, filiale bidon de l'Association, fit paraître en juillet " The History of Man ", ouvrage présenté comme " le compte rendu véridique de vos six derniers trillions d'années (sic). Hubbard avait voulait en faire le fondement de la Scientologie, dont il prétendait les vertus : grâce aux connaissances apprises ici, écrivait-il dans le troisième paragraphe, "l'aveugle recouvre la vue, l'estropié marche, le malade guérit, le fou devient sage et le sain d'esprit encore plus sensé "". Même jugé à l'aune de sa Science-fiction, L'Histoire de l'Homme est l'un des livres les plus impensables jamais pondus par Hubbard -voire un " concentré des plus absurdes élucubrations jamais écrites ", ainsi que en jugera le rapport d'une Commission d'enquête australienne sur la Scientologie. Méli-mélo de mysticisme, de psychothérapie et de Science-fiction, le texte ne manqua pas de faire exploser les non-croyants et la vénération des fidèles disciples. Dans un style digne d'une rédaction de collégien parsemé de jargon pseudo-scientifique emprunté aux publications médicales, Hubbard expliquait que le corps humain abrite à la fois le Thétan et "l'Entité Génétique ", ou " GE ", sorte d'âme d'essence inférieure localisée vers le milieu du corps. (" L'entité génétique s'introduit dans le protoplasme deux jours à une semaine avant la conception. Il semblerait que la GE soit double, l'une arrivant par le sperme... ) Les GEs existent depuis le début de l'évolution, " habituellement sur la même planète , tandis que les Thétans ne sont sur Terre que depuis quelques 35 000 ans dans le dessein de superviser l'évolution de l'homme des cavernes en HomoSapiens. La GE aurait donc pu être " un anthropoïde dans les forêts profondes de continents oubliés ou un mollusque luttant pour survivre sur le rivage d'un océan perdu . La découverte de la GE (pour Hubbard, la moindre idée issue de son imagination n'est jamais moins qu'une "découverte ) "apporte enfin une justification aux théories de Darwin .Hubbard entreprenait d'abord de remanier l'évolution,censée débuter selon lui par " l'atome complet, avec ses anneaux d'électrons suivi du "choc cosmique pro-duisant un " convertisseur de photons puis de l'apparition de la première créature monocellulaire, elle même précédant algue, méduse et coquillage, en une chaîne d'évolution dont la connaissance était indispensable aux scientologues, car elle leur permettait d'identifier les engrammes des vies préhistoriques de la GE. Ainsi, beaucoup d'engrammes remontaient aux coquillages. Les bivalves souffraient de problèmes de charnière en raison de l'opposition permanente entre le muscle d'ouverture de la coquille et celui de sa fermeture. Le preclair, affirmait Hubbard, pouvait très facilement " restimuler " un engramme causé par la défaite du muscle le plus faible: il suffisait d'imaginer un coquillage s'ouvrant et se fermant sur la plage et de faire le même mouvement alternatif avec le pouce et l'index geste soi-disant susceptible de troubler les observateurs: il les avertissait donc contre ce danger : " Évitez d' aborder ce genre de sujet en présence de non-initiés sous peine d'incidents désastreux. Restimuler l' engramme du coquillage peut provoquer de graves douleurs à la mâchoire :après avoir entendu évoquer la mort d'un coquillage, une victime a été incapable de faire fonctionner sa mâchoire pendant trois jours [sic]. Ayant ainsi rappelé l'histoire multi-millénaire des mollusques " ballottés par le ressac pendant des millions d'années et des créatures marines inconnues de la zoologie, mais pourvues de noms "scientifiques" comme " Weeper" ou " Boohoo ", il en arrivait au paresseux qui avait "bien des malheurs en tombant des arbres ", puis au singe et enfin à l'Homme de Piltdown, responsable d'une multitude d'engrammes allant de l'obsession de mordre à la série complète des problèmes familiaux. Ces engrammes étaient dus au fait que "le Piltdown avait des dents énormes et "mordait tout ce qui lui tombait sous la dent" . Il était même si peu attentif , selon Hubbard, qu'il " pouvait manger sa propre femme ou se livrer à des activités aussi étranges. (Malheureusement pour Hubbard, la preuve sera donnée un an après la publication de son livre que les ossements fossiles d'homme préhistorique découverts en Angleterre méridionale dans les sables du Piltdown Common étaient des faux. L'Homme de Piltdown n'avait jamais existé que dans l'imagination de l'archéologue amateur Charles Dawson, qui avait monté ce canular en 1912.)
Avec l'explication de Hubbard sur la manière dont les Thétans changeaient de corps, "Histoire de l'Homme " tournait ensuite à la pure Science-fiction. Les Thétans, disait-il, abandonnent leur enveloppe corporelle avant les GE, qui y restent jusqu'au moment de la mort physique. Entre chacune de leurs incarnations, les Thétans doivent se présenter à une " station d'implant" où, en attendant d'obtenir un nouveau corps, ils sont soumis à divers contrôles, parfois en concurrence avec d'autres Thétans désincarnés. Hubbard révélait en outre que ces "stations d'implant se trouvaient pour la plupart sur Mars; dans certains cas, les femmes dépendaient de stations situées ailleurs dans le système solaire et il existait même "une station d'implant martienne quelque part dans les Pyrénées. Bien entendu, Hubbard n'était pas homme à se reposer sur ses lauriers. En 1952, l'Association des scientologues et les Presses scientifiques de Phoenix publieront une montagne de brochures et de livres, notamment "Scientology : 8-80" publié quelques mois après L'Histoire de l'Homme. Parmi les articles à sensation, l' auteur déclare : " Ce livre offre au médecin comme au profane, au mathématicien et au physicien la capacité de vieillir ou de rajeunir son corps à volonté, de guérir les malades sans contact physique, de traiter les malades mentaux et soigner les infirmes. Les scientologue devaient non seulement lire mais étudier ces livres comme de vrais manuels scientifiques, signe de l'incroyable domination exercée par Hubbard sur ses disciples Si une telle omnipotence paraît incompréhensible aux non-scientologues, elle n'était pourtant pas sans précédent. La Scientologie adoptait déjà les caractères typiques d'une secte religieuse, qui offre le salut à ses fidèles grâce à des connaissances secrètes dont le chef détient le monopole. L'histoire de la chrétienté en est truffée d'exemples. Il existe aussi des parallèles entre la Scientologie et certaines pseudo-sciences, telles que la phrénologie ou l'irido-diagnostic qui prétendrait diagnostiquer toutes les maladies par examen de l'iris. Malgré, ou en raison de de leurs bases fantaisistes, ces pseudo-sciences n' ont cessé d'attirer des partisans fanatiques car elles ont en commun d'avoir été créées par un individu très charismatique, adoré comme un génie d'inspiration divine. Ce chef est toujours investi d'un pouvoir absolu, ses critiques seront ridiculisés, ses réussites proclamées à tout vent et ses échecs... passés sous silence. Quant aux adversaires, ils sont accusés de machinations machiavéliques, ourdies dans le dessein d'empècher tout progrès de l'humanité ; c'est un des prétextes les plus utilisés par Hubbard.
Pendant qu'il discoure au cours de l'été 1952, un visiteur inattendu survint en la personne de son fils aîné, L Ron Hubbard Junior, qui manifestait l'intention de devenir scientologue. A dix-huit ans, Nibs était un jeune homme plutôt gros doté d'un sourire angélique, aux cheveux roux. Incapable de poursuivre ses études à Bremerton, où ses grands-parents l'hébergeaient depuis deux ans, il avait décidé de rejoindre son père. Préoccupée par sa grossesse, Mary Sue ne l'empècha pas à de venir loger chez eux, dans la maison moderne louée par Ron à la sortie de Phoenix au pied des collines du Camel Black; âgée d'à peine plus d'un an que ce beau-fils, elle ne se sentait d' ailleurs envers lui aucune obligation. Son père l'inscrivit à un cours par correspondance dans l'espoir qu'il termine ses études secondaires et lui trouva un job à l'Association, où il le soumit à une audition intensive. Fils et homonyme du fondateur, Nibs fut également révéré des scientologues; il progressa si rapidement qu'il obtint bientôt le titre envié de "professeur du cours d'études cliniques avancées " et fit suivre son nom d'une ribambelle d'initiales et de sigles correspondant aux diplômes indispensables à ses honneurs. En Septembre 1952, Hubbard et Mary Sue firent leur premier voyage en Europe. Les motifs invoqués par Hubbard sont plutôt surprenants : " Dans le climat de violence engendré par les procès du traître Don Purcell... Mary Sue était tombée malade : il fallait l'emmener en Angleterre pour lui sauver la vie. "
Il omet de préciser comment le fait d'aller en Angleterre sauvait la vie de Mary Sue, d'autant qu'elle était enceinte de huit mois et qu'il aurait mieux valu pour son bien ne pas la faire voyager. Quoi qu'il en soit, Hubbard voulait aller à Londres afin de prendre en main le petit groupe de dianéticiens qui s'y était spontanément formé et Mary Sue voulut l'accompagner. Leur premier contact londonien leur fit triste impression : rues encore bordées des ruines de la Blitz Krieg, étals vides. Hubbard était furieux de ne pas trouver de cigarettes américaines, des Kool de son goût. Leur ennui se dissipa néanmoins quand leur taxi les déposa devant la belle maison louée pour eux par un dianéticien près de Regent's Park, au 30, Marlborough Place. Le surlendemain, une soirée organisée en leur honneur par un dianéticien les calma vraiment. Parmi les invités, il y avait une femme: Carmen D'Alessio, impatiente de rencontrer le grand homme qui seul la guérirait, pensait-elle, des accès de panique dont elle souffrait depuis son enfance. "Il était grand, corpulent, le teint coloré et les cheveux roux, pas vraiment attirant mais doté d'une présence évidente... Après le dîner, je lui ai parlé de mon problème et il a immédiatement commencé à m'auditer... sans aucun résultat. " Quelques jours plus tard, Carmen D'Alessio assista chez Hubbard à sa première conférence. "Il y avait trente ou quarante personnes réunies dans le salon, se souvient-elle.
Quand Hubbard est entré, j'ai tout de suite vu qu'il était enrhumé à mort. Il avait le visage rouge, les yeux larmoyants, il parlait du nez et se mouchait sans arrêt. Pourtant, il nous a affirmé qu'il souffrait depuis qu'il avait quitté son corps pour se rendre sans précautions dans une autre planète où une sorte de bombe avait éclaté à ses pieds. Tout le monde l'a cru mais je me suis dit qu'il était un fieffé menteur et j'avais raison. Je connaissais l'infirmière qui vivait chez eux à cause de sa femme enceinte. Elle m'a dit qu'il avait attrapé la grippe et qu'elle lui faisait des piqûres. L'infirmière s'occupa alors de Mary Sue. Le 24 Septembre, moins de trois semaines après être arrivée à Londres, elle eut une fille baptisée Diana. Ron télégraphia la nouvelle à Phoenix, sans oublier d' ajouter : " PRIÉRE ENVOYER ENCORE DES KOOL"
En octobre, l'édition anglaise de "Scientology 8-80 " parut avec une notice biographique sur l' auteur, due à un auteur anonyme : " Certains considèrent son oeuvre comme la seule approche sérieuse du mental depuis les travaux de Freud, d'autres y voient une première adaptation valable des philosophies orientales. Selon un célèbre auteur américain, il s' agit de la plus importante avancée de l'humanité au XXe siècle"... Aucun philosophe contemporain n'aura connu de son vivant une popularité plus grande, une réussite plus éclatante que celles d'Hubbard. Fin Novembre, Hubbard regagna les États-Unis, avec Mary Sue et le bébé. Il devait donner une série de conférences à Philadelphie où Helen O'Brien dirigeait avec son mari la succursale scientologique locale, privilège concédé par Hubbard moyennant commission de dix pour cent sur les recettes brutes. Les O'Brien avaient aussi accepté de lui verser 1 000 dollars à titre d'honoraires de conférencier, de lui fournir une voiture et de lui retenir un appartement ultra moderne dans un beau quartier. Hubbard essaya de leur faire endosser le bail, mais Helen le connaissait trop bien pour s'y laisser prendre :" Je lui ai dit : " Cet appartement est pour vous, c'est à vous de signer le bail. ". Avec lui, il fallait toujours se méfier. Du 1er au 9 décembre, Hubbard parla soixante-dix heures devant trente-huit fidèles. Ces débats, enregistrés sur bandes magnétiques et illustrés par un recueil de dessins de l'auteur, rappoteront pas mal d'argent sous le titre " Cours de Doctorat de Philadelphie " ; il y traîtait de la cosmologie scientologique, et abordait les méthodes "d'extériorisation " destinées à sortir de son corps, ainsi que la démonstration d'une nouvelle technique d' audition, le "processus créatif". " Ce qui nous semblait passionnant, dira un des assistants à cette série de conférences, c'était de se sentir impliqué dans le développement d'une science nouvelle praticable dans les faits, pas une théorie abstraite et inutile "
Le seul problème dans le programme eut lieu le 16 Décembre, lorsque des policiers se présentèrent à la Fondation munis d'un mandat d'arrêt au nom de Ron Hubbard. Dans le style épique de ses nouvelles pour les magazines western, Hubbard en rendit compte comme d'une bataille rangée; Helen O'Brien relate l'incident avec plus de sobriété : " Il n'y a pas eu de bagarre. Deux inspecteurs en civil et un agent en uniforme ont sonné à la porte en disant qu'ils venaient arrêter Ron. Mon mari et moi sommes montés avec lui dans le panier à salade et l'avons accompagné au poste. Mon frère avocat, l'a fait relâcher une heure plus tard sous caution de 1000 dollars. La cause de ce fâcheux épisode était Don Purcell, qui poursuivait toujours Hubbard pour récupérer son argent et remettre sur pied la Fondation de Wichita. Apprenant que son associé malhonnète était à Philadelphie, il y avait porté plainte pour détournement de la somme de 9 286 dollars, illégallement retirés du compte de la Fondation en liquidation judiciaire. Hubbard comparut devant le tribunal, accepta de restituer la somme et l' affaire se conclut par un non-lieu le 19 Décembre. Peu de temps après, il reprit l'avion pour Londres où la " Hubbard Association of Scientologists International, ou HASI ", venait d'ouvrir ses portes dans deux petites pièces sinistres et misérables au-dessus d'une boutique d'Holland Park Avenue à West London. Cadre dénué de prestige pour une science offrant que l'immortalité, mais Hubbard avait encore du mal à implanter la Scientologie en Grande-Bretagne.
En Février 1953, soucieux d'améliorer son image auprès des Britanniques, Hubbard décida de se procurer les diplômes académiques lui manquant ; il savait où les trouver : à la Sequoia University. Cette " université " de Los Angeles appartenait à un certain Dr Joseph Hough, chiropracteur, qui, entre deux consultations, diplômaitquiconque lui en paraissait digne. C'est ainsi que Richard De Mille s'était vu, à sa grande surprise, bombarder d'un " Ph. D " (doctorat en philosophie) de la Sequoia University pour un petit essai, intitulé " Introduction à la Scientologie ", dont il était l'auteur. Le 27 Février, ce même Richard De Mille reçut à Los Angeles un télégramme d'Hubbard demandant de solliciter de toute urgence du Dr Hough un quelconque doctorat. Le lendemain, De Mille en annonçait l' envoi du diplôme par la poste aérienne. C'est ainsi qu'Hubbard put accoler à son nom le titre aussi prestigieux que fantaisiste de "docteur en philosophie", suivi peu après d'un non moins mystérieux doctorat en théologie puis d'un doctorat en Scientologie que, pour plus de sûreté, il s'était lui-même décerné. Sa correspondance de l'époque trahit son souci sur l' avenir de la Scientologie. Aux États-Unis, le chiffre d'affaires des succursales " franchisées " stagne et l'organisation est développée n'importe comment, en un conglomérat de filiales dispersées surtout le territoire et difficiles à contrôler. La Scientologie devait aussi faire face à l'hostilité tenace du FBI, dont les agents ne manquaient jamais de noter dans leurs rapports qu'Hubbard avait été accusé de "démence incurable " par son ex-femme.
Début Mars, Hubbard écrivit à Helen O'Brien en lui demandant d' aller à Phoenix fermer la maison d'édition pour la transférer à Philadelphie. Helen découvrit en arrivant que la maison des Hubbard avait été cambriolée; elle supposa que les malfaiteurs avaient en vain recherché le légendaire "Excalibur " et déclara la disparition de deux revolvers. Elle entreprit ensuite de fermer le "centre de communication", expédia le matériel à Philadelphie et reprit la publication du bulletin bimensuel de l' Association, le "Journal de la Scientologie ". Ce n'était pas trop fatigant : Hubbard écrivait tout. Quand il voulait chanter ses propres louanges, ili signait quand-même ses articles " Tom Esterbrook".
Le 10 Avril, Hubbard écrivit de nouveau à Helen en parlant création d'une chaîne de "cliniques HASI " ou de "Centres de Conseil Spirituel " qui, disait-il, pourraient "rapporter pas mal " si chaque centre réussissait à traiter de dix à quinze preclairs par semaine à 500 dollars par tête ". Il reparlait de la transformation, précédemment abordée, de la Scientologie en religion : " J' attends votre réaction. A mon avis, l'opinion publique ne pourrait pas être plus mauvaise qu'elle ne l'est déjà et nous ne pourrions pas avoir moins de clients...Dans sa lettre suivante, Hubbard affiche des sentiments nettement plus laïcs envers un membre de l'espèce humaine qui s'obstinait à lui mettre des bâtons dans les roues : Don Purcell: "Tôt ou tard, cet individu... haï de tout Wichita à cause de ses moeurs en affaires.. poussera à bout quelque minable qui lui tirera dessus. Cet homme est un fou dangereux... La seule chose qui m'étonne, c'est que le public accorde tant d'attention à ses faits et gestes, ca démontre la stupidité des Américains et leur envie de se laisser rouler.
Fin Mai, Hubbard quitta Londres en voiture, avec Mary Sue de nouveau enceinte et la petite Diana âgée de huit mois, pour se rendre en Espagne dans l'intention avouée de promouvoir la Scientologie en Europe continentale. La famille séjourna sur la côte et descendit jusqu'à Séville en passant, semblerait-il, d'agréables vacances, ce qui n'empêcha pas Hubbard de continuer à inonder de lettres Helen O'Brien qui, seule avec son mari, faisait marcher la Scientologie aux États-Unis.
Il revint à Philadelphie vers fin Septembre pour une conférence au Congrès international des scientologues et dianéticiens réunissant plus de trois cents délégués. Le Congrès fut une réussite mais ses organisateurs, les O'Brien, étaient à bout de forces. Devenus depuis un an les esclaves d'Hubbard, ils n'en avaient rien reçu en échange et n'en attendaient plus rien. "A peine nous étions-nous chargés de défendre ses intérêts, se souvient Helen, qu'il a commencé à se méfier de nous, à nous tromper, à nous jouer des tours pendables. On comprend, dans ces conditions, qu'ils aient eu hâte de prendre leurs distances. Helen O'Brien ne peut oublier ses adieux à Hubbard : " Vous êtes, lui avait-elle dit, comme une vache qui donne un seau de bon lait et le renverse d'un coup de sabot. "
En Octobre et Novembre, Hubbard donna une série de conférences à l' Association de Camden, New Jersey.
Mary Sue qui, en temps normal, ne manquait jamais une conférence, resta à la maison à cause de sa fille et de sa grossesse. Nibs, qui s'était marié entre-temps à Los Angeles avec son amie d'enfance, Henrietta, vint leur rendre visite. Il s'en trouva récompensé par un emploi dans "l'Org " (abréviation scientologique d'Organisation) de Camden. A Noël, les Hubbard regagnèrent Phoenix où Mary Sue mit au monde le 6 Janvier 1954 son fils Geoffrey Quentin. Privé des services d'Helen O'Brien, Hubbard voulut remettre à contribution ceux de Richard De Mille pour se rendre compte qu'il était lui aussi désabusé. " Je cherchais une réponse à mes interrogations, se souvient Richard De Mille, mais je tombais chaque fois sur de nouvelles contradictions et j'étais de plus en plus sceptique. Plus on nous promettait monts et merveilles, moins il y avait de résultats. Quand Hubbard m'a appelé pour me demander de revenir près de lui, je lui ai fait comprendre que je n'y croyais plus et il a eu une réaction typique : " Qu'est-ce qui t'est arrivé, Dick ?" a-t-il demandé. Il n'avait jamais admis qu'on puisse ne plus y croire. En dépit de ces défections, la Scientologie prospérait si bien que la HASI de Phoenix emménagea en Avril 1954 dans de nouveaux locaux luxueux, avec auditorium pourvu de matériel d enregistrement ultra moderne, vingt salles d' audition, bureaux pour les cadres et même, piscine. La superbe brochure éditée pour la circonstance, à la couverture des portraits souriants de MM. L. Ron Hubbard Senior et Junior, proclamait que "dix mille ans de pensée humaine ont rendu cette science possible... Ron Hubbard a consacré plus de trente années à la conception et au perfectionnement de la Dianétique et de la Scientologie pour les amener à maturité et méthodologie". La maison au pied des Camel Black, où les Hubbard habitèrent plus que nulle part ailleurs, devint un lieu de ralliement pour adorateurs appréciés du gourou. L'un d'eux, un Anglais du nom de Ray Kemp, était persuadé qu' Hubbard détenait des pouvoirs surnaturels : " Je l' ai vu déplacer des nuages dans le ciel. Pour lui, c'était tout simple, il le faisait en s'amusant ", écrit-il sans rire, ainsi que d'autres miracles aussi extraordinaires du Maître. Ce comportement aberrant au sens réel et non dianétique du terme montre clairement la propension des adeptes d' Hubbard à bâtir des mythes autour de leur idole et à prendre tout ce qu'il dit au pied de la lettre, très littérallement. Au cours de l'été 1954, Jack Horner rejoignit lui aussi le cercle des intimes. Comme nombre de dianéticiens du début, Horner s'était d'abord fâché contre Hubbard, qui l'avait accusé de trafiquer les comptes de la Fondation de Los Angeles. Incapable de s'en séparer toutefois, il était revenu au bercail au premier claquement de doigt, plus enthousiaste que jamais : " J'étais chez lui un après-midi à Phoenix quand on a sonné à la porte. Ron est resté pour bavarder avec quelqu'un pendant cinq minutes et il est revenu avec un large sourire en me disant qu' on lui offrait 5000 $ d'Excalibur. Alors, il a ajouté en éclatant de rire : "Un de ces jours, il faudra que je me décide à l'écrire "
C'était la première fois que Ron admettait que ce manuscrit n'existait pas... Mais cela n'avait pas d'importance. Pour nous, il n'y avait de valable que la Scientologie. Si Ron voulait raconter des histoires pour se faire valoir, on s'en fichait : son génie nous faisait oublier le reste et son grain de folie. Les plus fervents admirateurs d'Hubbard, y compris Horner, n'éprouvaient cependant pas la même dévotion pour Mary Sue. "Je la détestais, se souvient Horner: une vraie protestante puritaine à l'esprit étroit. Un soir, nous nous sommes disputés parce qu'elle traitait ma petite amie de putain. Je lui en ai dit de toutes les couleurs et Hubbard m'a jeté dehors. Hubbard, en effet, ne souffrait pas la moindre critique à l'encontre de Mary Sue. S'il ne lui manifestait guère d'affection en public, il semble qu'après d'innombrables liaisons et l'échec de ses deux mariages il avait trouvé une stabilité en elle. Le brasseur d' affaires quadragénaire, extraverti et beau-parleur, et la petite provinciale renfermée de vingt ans plus jeune formaient pourtant un couple bien mal assorti. En apparence, du moins, car quiconque sous-estimait Mary Sue commettait une grave erreur : à vingt-quatre ans, elle exerçait un redoutable pouvoir occulte sur le mouvement et tous ceux qui gravitaient autour d'Hubbard apprenaient très vite à s'en méfier. Farouchement dévouée à son mari, tyrannique, brutale, elle devenait très facilement une dangereuse ennemie. La Nature l'avait aussi dotée de fertilité car, moins de quatre mois après la naissance de Quentin, elle était à nouveau enceinte.
En Juin, la HASI produisit une biographie d'Hubbard, remaniée avec une louable imagination dans le but de faire bonne impression sur le "Better Business Bureau " de Phoenix. Cette version présentait des informations inédites qui surprennent quelque peu. On y retrouve le "Commandant Thompson... qui a introduit la psychanalyse à l'US Navy pour être appliquée à ...la chirurgie en vol [sic]" . On découvre également l'existence d'un livre dont il n' avait jamais été question jusqu'alors :" En 1947, Hubbard publia un ouvrage "La Scientologie : une nouvelle science", destiné à la Gerontological Society et à l' Americain Medical Association ", ouvrage 'bien accueilli' . On s'étendait également sur les malheurs de l'infortuné Hubbard, victime de son succès, les éditeurs avides exigeant de lui des oeuvres de Science-fiction alors qu'il ne rêvait que de consacrer son temps et ses forces à ses recherches de "physique nucléaire " et autres études, sans oublier des scandaes provoqués par la méchanceté de son ex-femme. Cette vie mouvementée trouvait néanmoins un heureux épilogue à Phoenix où l'Association pour la première fois sous le contrôle du seul Ron Hubbard, donc à l'abri des manoeuvres de ses 'ennemis' était parvenue à asseoir sa réputation et payait ses dettes rubis sur l'ongle. Mieux encore, la Scientologie annonçait "à titre de service public " son intention de se mettre à la disposition des handicapés... La lettre d'accompagnement était signée de John Galusha, secrétaire général de la HASI. " Je considérais comme un privilège de travailler pour Ron. Peut-être était-ce un charlatan et un menteur, mais je m'en moquais. Ce qui m'intéressait, c'était que la " tech" soit bonne et qu'elle fonctionne. (La "tech ", c'est l'abréviation utilisée pour ce qu'Hubbard nommait la" technologie " de la Scientologie.)
Galusha n'eut jamais l'occasion de connaître Hubbard intimement, mais peu de personnes purent l'affirmer. Jack Horner cite une réflexion d' Hubbard : " Un jour... je lui ai dit : " Vous savez, Ron, ce serait bien qu'on soit bons amis. " Au bout d'un long silence, il m' a répondu : " Oui, ce serait bien, mais je ne peux pas avoir d'amis. "
Vers fin 1954, Hubbard reçut les meilleures nouvelles de l'année en apprenant de Wichita que Don Purcell abandonnait le champ de bataille. Purcell avait fini par se lasser des interminables séries de procès qui le forçaient à lutter pied à pied et des incessantes attaques personnelles lancées contre lui par les scientologues : Il commençait également à s'intéresser à la Synergétique, sorte de vague rejeton de la Dianétique, à laquelle il entendait dorénavant consacrer ses ressources. Il restitua donc à Hubbard les copyrights et listes d'adresses de la Fondation de Wichita et rompit avec soulagement les derniers liens avec celui qu'il avait un moment considéré comme le sauveur de l'humanité. La défaite de Purcell ne pouvait mieux tomber : Avec la Dianétique et la Scientologie désormais sous son seul contrôle, Hubbard était enfin prêt à profiter de son propre conseil, si souvent exprimé : " Si on veut vraiment gagner un million de dollars, le meilleur moyen est encore de fonder une religion."