"Le gouvernement des États-Unis s'efforça à l'époque (1950) de s' approprier ses recherches et de le contraindreà collaborer à un programme destiné à" rendre l'individu plus influençable "et, devant son refus, essaya de le soumettre à un chantage en lui ordonnant de reprendre du service actif pour exécuter cette mission. Grâce à ses amis et relations, il [Hubbard] parvint à échapper au piège en démissionnant aussitôt de la Marine. Le gouvernement ne le lui pardonna jamais et soumit bientôt son oeuvre à des attaques sournoises, calomnieuses et mensongères." (What is Scientology - Ce qu'est la Scientologie, 1978)
Terre d'élection des modes excentriques et des philosophies saugrenues, la Californie serait le paradis de la Dianétique. C'est donc à Los Angeles que Hubbard débarque début Août 1950, sous les acclamations des dianéticiens venus l' accueillir à l' aéroport. Ecrivaillon sans le sou et à demi oublié, il en était part vite fait; il revenait deux ans après en triomphateur avec, à son actif, un livre trônant au sommet des listes de best-sellers et une légion sans cesse croissante de disciples le prenant pour un génie. Il avait devant lui un programme chargé : librairies et journalistes se disputaient sa présence, il devait donner une série de cours à la Fondation de Recherche Dianétique récemment ouverte à Los Angeles et, surtout, présider le jeudi 10 août un grand rassemblement au Shrine Auditorium, événement capital au cours duquel le "premier clair au monde > serait vu en public. Le Shrine Auditorium, bâtiment kitsch de 1925 pouvant contenir 6500 spectateurs, était alors la plus grande salle de la ville. Quand la Fondation l'avait louée, les plus optimistes espéraient la remplir tout au plus à moitié. A la stupeur générale, la salle fut bondée au point que les derniers arrivants durent rester debout. Un public jeune et bruyant attendait avec curiosité de découvrir le "premier clair au monde" et les prodiges qu'il ou elle allait accomplir. Des dizaines de reporters étaient venus couvrir l'événement.
Lorsqu'Hubbard apparut sur la scène suivi de A.E Van Vogt, recruté depuis peu, et des autres dirigeants de la Fondation, le public lui fit une ovation. Souriant et sûr de lui, Hubbard ouvrit la séance en démontrant diverses techniques dianétiques sur de jolies filles,mais, au bout d'un certain temps, l' ambiance devint houleuse : "Mesdames et messieurs, cria un spectateur, je ne peux pas m' empêcher de penser que tout ceci a été répété d' avance!" Sous les encouragements de la foule,un jeune homme bondit alors sur le piano de la fosse d'orchestre et Hubbard, sans se démonter, l'invita à le rejoindre sur la scène. Le volontaire se présenta en disant que son père avait été élève de Freud, ce qui donna à Hubbard l' occasion de rappeler ses propres relations avec le père de la psychanalyse par l'intermédiaire de son vieil ami "Snake" Thompson. Quand il entreprit d'auditer son sujet, celui-ci se montra malheureusement réfractaire à tous ses efforts et le chahut recommença. L'atmosphère bruyante était encore potable; tandis que'Hubbard énumérait les nombreux bienfaits apportés par l' audition, un plaisantin fit exploser la salle en lançant : "Est-ce que ça marche aussi pour p1omber les dents creuses ? "Le vacarme ne s'apaisa qu'à l'annonce du clou de la soirée Sonya Bianca, "premier clair au monde", était une jeune physicienne et pianiste de Boston qui jouissait grâce à la Dianétique, affirma Hubbard, de quantités de facultés nouvelles parmi lesquelles une mémoire infaillible lui permettant de se souvenir sans erreur de "chaque instant de sa vie", ainsi qu'elle aurait le plaisir de le démontrer. Puis il se tourna vers les coulisses et déclara : "Et maintenant, à vous, Sonya". Des applaudissements nourris saluèrent l'entrée d'une mince jeune fille tremblante de trac en scène sous le faisceau d'un projecteur. Après qu'Hubbard lui eut paternellement donné l' accolade, elle déclara d'une voix mal assurée que la Dianétique l' avait guérie de sa sinusite chronique et d'une allergie à l'odeur de peinture avant de conclure en bredouillant : "Je ne me suis jamais sentie si bien". Hubbard lui posa ensuite quelques questions sans portée aucune et invita le public, qui espérait manifestement des révélations plus spectaculaires, à la questionner à son tour : il n' allait pas tarder à le regretter "Qu'avez-vous mangé à déjeuner le 3 octobre 1942 ?" voulut savoir un spectateur. Désarçonnée, Mlle Bianca cligna des yeux et ne put que secouer la tête, mdémontrant son trou de mémoire. "Qu'y a-t'il d'écrit page 122 de La Dianétique ?" demanda un autre. Mlle Bianca ouvrit la bouche et la referma sans un son. Prise sous un feu roulant de questions mêlées de rires moqueurs, la malheureuse était terrorisée au point de ne pas même se rappeler une formule élémentaire de physique, sa spécialité. Une partie du public manifesta sa réprobation en quittant bruyamment la salle tandis que certains spectateurs pris de pitié posaient en vain des questions plus faciles. Voyant que Hubbard venait de lui tourner le dos, l'un d'eux cria : "De quelle couleur est la cravate de M. Hubbard?" Larmes aux yeux, traits contractés par un effort désespéré pour retrouver un souvenir, le "premier clair au monde" baissa piteusement la tête. Jamais à court d'arguments, Hubbard expliqua que, dianétiquement parlant, la cause de cette fâcheuse amnésie lui était imputable : en appelant Sonya Bianca, il lui avait dit "A vous maintenant", ce qui lui avait "figé la mémoire dans l'instant présent". Si ce n'était guère convaincant, l'auditoire fut bien obligé de s'en contenter. La réaction de Forrest Ackerman, venu assister au triomphe présumé, résume bien ces instants : "J' étais très déçu de ne pas voir une femme maîtresse d'elle-même et capable de dominer la situation. Je m'attendais à autre chose de la part d'un clair".
Il s'écoulera du temps avant que Hubbard ne se risque à exhiber en public un autre clair, ce qui n' empêcha pas les admirateurs enthousiastes de la Dianétique de continuer à prétendre que leurs propres sujets parvenaient sans peine à cette bienheureuse condition.
Pour L. Ron Hubbard, le fiasco du Shrine Auditorium ne fut qu'un caillou sur le chemin de la fortune. Quand Ackerman vint le voir à son hôtel après la manifestation, il lui tapa joyeusement sur l'épaule en déclarant : "Clark Gable n'a qu'à bien se tenir, je gagne plus d'argent que lui."
Et c'était vrai : littéralement, l'argent pleuvait. Après avoir accepté de diriger la Fondation de Los Angeles, Van Vogt ne fit pratiquement rien d'autre les premières semaines qu'ouvrir des enveloppes contenant les chèques de 500 dollars envoyés par les candidats auditeurs. Quelques jours après la réunion du Shrine Auditorium, la Fondation transféra d'ailleurs son siège dans l' ancienne résidence officielle du gouverneur de la Californie, grosse hacienda de style hispano mexicain baptisée "La Casa" : il y avait déjà en caisse de quoi verser un bon acompte sur le prix de quatre millions et demi de dollars. Entre-temps, de nouvelles succursales s'étaient ouvertes à New York, Washington, Chicago et Honolulu. Mais si l'argent rentrait, il sortait aussi vite. Les notions mêmes de comptabilité et d' organisation étaient étrangères à Ron Hubbard, qui, de jour en jour plus dictatorial, se méfiait davantage de son entourage et refusait de déléguer le moindre pouvoir. "Il sombrait déjà dans la paranoïa, se souvient Barbara Kaye, attachée aux relations publiques de la Fondation. Il s'imaginait que la CIA avait mis des tueurs à ses trousses. Quand je lui demandais pourquoi il marchait toujours si vite, il regardait par-dessus son épaule : "Tu ne sais pas ce que c' est qu'être persécuté!" Bien entendu, il n'y avait rien de vrai dans tout cela."
Superbe blonde de vingt ans, étudiante en psychologie, Barbara Kaye (ce nom est un pseudonyme) connaissait les problèmes de Ron Hubbard pour la bonne raison qu'elle était devenue sa maîtresse. "Je cherchais un travail de relations publiques et une agence m' a envoyée à la Fondation... Ron m'a interviewée lui-même et m'a embauchée. Je ne l'avais pas trouvé beau au début, c'était un roux épais, aux traits lourds, que je n' aurais même pas remarqué dans la rue mais je me suis vite rendu compte qu'il était intelligent, attachant et dynamique... Il y avait beaucoup de travail au bureau à ce moment-là, il me raccompagnait chez moi quand je restais tard. Un soir, il m' a embrassée et bon... Je savais qu'il était marié mais j'étais encore très jeune et je ne me souciais pas autant que j'aurais dû de ce que pouvaient ressentir les femmes des autres.
Leur liaison fait face à un emploi du temps surchargé. Hubbard enseigne à la Fondation sept jours sur sept. A.E Van Vogt, qui avait temporairement délaissé la Science-fiction, se levait tous les matins à 5 h 30 pour ouvrir les bureaux à La Casa. Arrivé une heure plus tard, Hubbard présidait la réunion quotidienne des instructeurs, formés à la Fondation d'Elizabeth; dès l'arrivée des premiers stagiaires à huit heures, il commençait à donner ses cours et diriger les entraînements. Le soir, quand il n' enseignait pas, Hubbard restait avec Barbara qui en tomba bientôt follement amoureuse. Il avait loué une suite à l'hôtel Château Marmont, genre de castel pour stars, qui dominait le Sunset Strip. Pendant leur première nuit dans leur "nid d' amour", il la guida gentiment par les épaules et l'entraîna dans chaque pièce en disant : "Voilà ta penderie, ta coiffeuse, ta brosse à dents."
Deux jours plus tard, Sara et le bébé débarquaient de la Côte Est et s'installaient au "nid d' amour": le lendemain matin, Barbara trouva sur son bureau sa brosse à dents et les quelques effets personnels laissés au Château Marmont. Tandis qu'elle contemplait tristement ces objets, Hubbard lui chuchotait à l' oreille : il n'y pouvait rien, sa femme était une garce, etc. Puis, sans transition, il lui demanda de venir dîner ce même soir avec lui et Sara. Sans voix devant un tel cynisme, Barbara ne put que refuser. Elle ne pouvait malgré tout se résoudre à rompre "Avec lui, je ne m' ennuyais jamais. C'était un extraordinaire conteur, un amant tendre et attentionné. J'étais quand même consciente de ses problèmes mentaux. Il me disait parfois des choses tellement incohérentes que je ne savais plus que croire. Il disait que sa mère était lesbienne.. et qu'il était lui-même victime d'une "tentative d' avortement". Il me parlait beaucoup de son grand-père mais jamais de son père ni de ses enfants Je n'ai appris l'existence de l'ainé que des années plus tard en lisant les journaux "Vers la fin Septembre, toujours responsable des relations publiques de la Fondation, Barbara accompagna Hubbard pour une tournée de conférences dans la région de San Francisco.
Sara vint à la gare avec eux et embrassa ostensiblement son mari en lorgnant Barbara avec défi. Vexé, Hubbard passa tout le temps du trajet à boire au wagon-restaurant. Ce n'est qu'en apprenant à l'arrivée qu'un dianéticien avait organisé une réception en son honneur que son humeur s' arrangea : pas celle de Barbara, qui le surprit au cours de la soirée en train d'embrasser leur hôtesse à la cuisine. Elle refusa decoucher avec lui cette nuit-là : il piqua une violente colère en criant : "Ils sont tous contre moi!" Barbara nota dans son journal : "Je le vois tel qu'il est, vaniteux, arrogant, égoïste et incapable de tolérer la moindre contrariété." La brouille ne dura pas: "Les choses se sont arrangées à Oakland, écrivit Barbara dans son journal. Il est retombé amoureux de moi et je ne me suis jamais sentie aussi proche de lui. Il buvait énormément et me racontait des histoires épouvantables sur sa famille.. En fait, je le crois très malheureux. Il m'a dit que son chat était le seul être qui lui ait témoigné de l' affection ces dernières années, avant notre rencontre."
En octobre, Hubbard dut se rendre à Elizabeth suite à de mauvaises nouvelles : la situation financière de la Fondation était alarmante : les recettes ne suffisaient même plus à assurer la paie et le Dr Joseph Winter voulait démissionner. Après avoir tant fait pour asseoir la crédibilité de laDianétique, Winter n'y croyait plus. Il s'inquiétait de sa nocivité depuis que deux preclairs étaient tombés en une psychose aiguë en audition; il condamnait la persistance de la Fondation à enrôler n'importe qui et à laisser tout le monde auditer tout le monde sans contrôle réel; il réprouvait le fait que la Fondation, dont la Recherche était censée constituer l'un des principaux objectifs, ne fasse aucun effort pour entreprendre ces recherches scientifiques. Expliquant ses préoccupations à Hubbard qui ne l'écoutait pas, il n'avait plus d' autre choix que de se retirer. Art Ceppos, l'éditeur de La Dianétique, démissionna aussi par solidarité avec Winter. Enragé de cette "trahison" de la part de ces compagnons de la première heure, Hubbard clama à tous les échos qu'ils voulaient mettre la main sur la Fondation et qu'il les avait "forcés à démissionner".
Hubbard voulait, en plus de ses mensonges à leur encontre, se venger d'eux. C'est le Sénateur Joseph McCarthy, le démagogue hystérique dont la sinistre chasse aux sorcières empoisonnait alors l' Amérique entière, qui lui servit de bras vengeur. Sur ordre de Hubbard, l'avocat de la Fondation écrivit donc au FBI pour dénoncer Art Ceppos, Président d'Hermitage House et "sympathisant communiste avéré", qui avait voulu s'emparer du fichier de la Fondation comportant seize mille noms, document "précieux pour qui chercherait à répandre la propagande du parti communiste". Hubbard s'en alla au bout d'une semaine sans rien avoir fait pour résoudre la crise financière Ne s'étant jamais intéressé aux mystères des comptes d'exploitation, il supposait que tout finissait par s'arranger d'une manière ou d'une autre. Il allait sous peu faire face à d'autres problèmes, personnels ceux-là : Sara le trompait.
Peu après son retour à Los Angeles, il avait de nouveau voulu passer une soirée à la fois avec sa femme et sa maîtresse. Barbara avait d'abord protesté contre cette idée de mauvais goût puis s'était finalement résignée à rejoindre Ron et Sara au restaurant en amenant un camarade, Mites Hollister, instructeur à la Fondation. La douteuse plaisanterie de Ron ne tarda cependant pas à se retourner contre lui : l'ami de sa maîtresse devint l'amant de sa femme...A vingt-deux ans, issu de la haute bourgeoisie de la côte Est où il avait fait de brillantes études, Hollister était l'opposé d'Hubbard : jeune, grand, brun, sportif et beau garçon. Rien d' étonnant, par conséquent, à ce qu'Hubbard l'ait haï du premier coup d' oeil et se soit acharné sur lui. Il exerça toutefois ses premières représailles d'une manière curieusement détournée en congédiant de la Fondation les deux meilleurs amis de Hollister sous le prétexte commode qu'ils étaient communistes.
Le psychologue Jack Horner, qui travaillait à la Fondation, tenta d'intercéder : "J' ai dit à Hubbard qu'il ne pouvait pas les renvoyer sans motif... Il a explosé : "Vous n'y comprenez rien! Ici, je suis tout seul à me battre. Je laisserai peut-être des hommes sur le terrain mais je gagnerai." Pour Hubbard, la fin justifiait toujours les moyens... mais je fermais les yeux parce que j' étais convaincu que son génie éclipsait ses défauts."
Les relations Sara-Hubbard Sara allèrent de mal en pis. Un soir, au cours d'une violente dispute, elle lui cria : "Va plutôt passer ton week-end avec une fille!" Furieux, Hubbard sortit en claquant la porte, alla chercher Barbara Kaye et l' emmena dans un motel de Malibu où il passa son temps à ingurgiter force whisky en rouspétant contre sa femme. "Quand nous sommes rentrés à Los Angeles le dimanche soir, dit Barbara, il s'est arrêté pour acheter des fleurs pour Sara. Après tout le mal qu'il m'en avait dit pendant deux jours, j'étais effarée." Barbara tenait soigneusement son journal, où elle analysait ses rapports avec Hubbard et rapportait leurs mélodrames quotidiens. Le 27 Novembre, Hubbard fit irruption chez elle "complètement agité" : Sara avait tenté de se suicider en avalant des somnifères après une conversation téléphonique avec Barbara, qu'il accusa d' avoir voulu nuire à sa femme en lui dévoilant leur liaison. Barbara avait en effet téléphoné chez Hubbard, mais pour l' entretenir d'une question professionnelle et avait aussitôt raccroché en apprenant qu'il était sorti. Hubbard refusa de la croire et prétendit avoir "décrypté un engramme" indiquant que la tentative de suicide de Sara avait été déclenchée par le coup de téléphone de Barbara. Les morceaux choisis de leur dispute, transcrits par Barbara, sonnent comme un dialogue de roman-photo: MOI : Ainsi, tu prends l'habitude de planter des engrammes dans l'esprit des gens ? Bravo! Belle conduite, de la part du fondateur de la Dianétique.
LUI : Tu ne trouves pas excitant d'être un pion sur cet échiquier géant? Tu as le monde entier pour enjeu.
MOI : Je me fous du monde entier ! Je cherche seulement une personne avec qui avoir des rapports sincères.
LUI : Tu en serais incapable. Tu es une ambitieuse qui ne cherche que le pouvoir, une Cléopâtre, une Lucrèce Borgia. Il te faudrait un César, un Alexandre.
MOI : Je n'ai pas besoin de César, c'est plutôt César qui aurait besoin de moi. Je te connais, Ron, mieux que personne ne t' a jamais connu.
LUI (tête basse) : Et parce que tu me connais, tu ne veux plus de moi, n'est-ce pas .
MOI : Si, je tiens à toi, mais d'une façon différente. (Il m'attire contre lui et m'embrasse.)
MOI : Tu vois, tu tiens encore à moi... Parce que tu as besoin de moi. Plus que je n'ai besoin de toi...
LUI : Tu as eu tort de dire ça., tu te trompes!
Barbara comprit à quel point elle avait eu tort en recevant deux jours plus tard ce télégramme: "Prière de ne plus avoir affaire à moi ni à la Fondation. Ron."
J'étais assommée, se souvient-elle. L'homme avec qui j' étais censée vivre une folle passion me jetait dehors! "Pendant ce temps, A.E. Van Vogt tentait de sauver la Fondation de Los Angeles du naufrage. Selon ses calculs, les six Fondations existantes avaient dépensé près d'un million de dollars et contracté plus de 200 000 dollars de dettes. En Novembre, pendant la courte absence d'Hubbard à Elizabeth, il avait réduit de moitié l'effectif de soixante employés permanents dans l' espoir de réduire l'hémorragie. Furieux, Hubbard avait réembauché sans tenir compte des mises en garde de Van Vogt; moins d'une semaine après son retour, l'effectif était remonté à soixante-sept personnes, sous prétexte que ce personnel surnuméraire servait à la "recherche."
Le magazine Look publia en Décembre un article incendiaire intitulé : "La Dianétique : science ou escroquerie?" Le texte ne laissait guère de doutes quant à la réponse : "Un demi-million de naïfs ont déjà gobé cette psychiatrie de pacotille... Hubbard apporte une fois de plus la preuve que Barnum sous-estimait le taux de natalité des pigeons."
L' article, qui dépeignait les fidèles comme "un ramassis de marginaux, de vieilles filles frustrées et d'homosexuels refoulés", mentionnait "l'inquiétude et la répulsion" que la Dianétique inspirait au corps médical en citant un médecin de la clinique Menninger qui admettait que les sujets mentalement troublés puissent trouver dans ce piège à gogos un soulagement illusoire, du même ordre que celui fourni par les charlatans de l'hypnotisme ou les sorciers vaudous. "Les dommages les plus graves infligés par laDianétique, ajoutait-il, sont moins dus à sa nature nocive qu'au fait qu'elle détourne des traitements sérieux ceux qui en auraient le plus besoin."
L' attrait exercé par Hubbard, concluait l' article, venait de ce qu'il mettait son ersatz de psychiatrie à la portée de tous : "C'est bon marché, c'est facile, c'est un jeu de société pour s'amuser dans les clubs et les parties. Dans un pays qui ne comporte que 6000 psychiatres professionnels dont les honoraires débutent à quinze dollars de l'heure, Hubbard a introduit les méthodes de la production de masse. Que de telles méthodes puissent réellement soigner des malades est une tout autre affaire."
Comme d'habitude face aux critiques médiatiques, les dianéticiens serrèrent les rangs. L'avant-veille deNoël, à la fête de La Casa où élèves et instructeurs de la Fondation fraternisaient joyeusement, le moral était au plus haut. Barbara Kaye s'y hasarda; Hubbard l'invita à danser comme si de rien n'était et ils renouèrent leur liaison. En janvier 1951, l'Ordre des médecins du New Jersey lança des poursuites judiciaires contre la Fondation d'Elizabeth pour "enseignement illégal de la médecine".
L'avocat de la Fondation se disait capable de gagner l'affaire, mais les dirigeants, jugeant p la fuite plus adaptée, se renseignèrent sur la législation d'autres États moins regardants. Quant à Hubbard, ayant déjà décidé de quitter le navire New Jersey, il confia à deux acolytes sûrs, John Sanborn et Greg Hemingway, cadet des fils de l'écrivain, le soin de charger ses effets personnels dans sa limousine Lincoln et de rallier Los Angeles. Entre-temps, Hubbard avait emmené Sara et leur fille Alexis à Palm Springs afin, disait-il, d'écrire au calme une suite à La Dianétique : Science of Survival (Science de la Survie), dans laquelle présenterait des techniques d'audition simplifiées.
Richard De Mille, fils du cinéaste Cecil B. De Mille récemment engagé par Hubbard comme secrétaire particulier, y rejoignit la famille peu après." Je ne m'en rendais pas compte sur le moment, se souvient Richard De Mille, mais c'était surtout mon nom qui l'avait intéressé. Hubbard aimait collectionner les célébrités. Quand il m'a demandé de l'accompagner à Palm Springs, 1'ambiance de la Fondation était très perturbée :Hubbard accusait les communistes de vouloir l' évincer et son ménage prenait eau de toutes parts. Il se méfiait de Sara qui le trompait avec Hollister et le critiquait ouvertement."
Sara ne s'attarda pas à Palm Springs : il ne fit aucun effort pour l'y retenir : à peine fut-elle repartie pour Los Angeles avec la petite Alexis qu'il télégraphia à Barbara Kaye qu'il l'aimait et qu'il avait besoin d'elle. Barbara sauta dans un autocar et le rejoignit le 3 février. Pendant les semaines qu'ils passèrent ensemble, Barbara Kaye, qui deviendra par la suite psychologue professionnelle, établit un diagnostic clinique de Hubbard. "C'est manifestement un maniaco-dépressif à tendance paranoïaque. Les cyclothymiques sont souvent sociables, productifs et capables de déployer une énergie considérable. Dans les bons moments, Ron était extrêmement créatif, se sentait tou-puissant, débordant de projets grandioses mais en arrivant, je l'ai vu broyer du noir, incapable de finir son livre qui devait être publié ce mois-là. Il s' apitoyait sur son sort, il buvait comme un trou. Il accusait Sara de l'avoir hypnotisé pendant son sommeil.. et les gens d'Elizabeth d'avoir tenté de l'empoisonner pour l'empêcher d'écrire. Il m'avait appelé dans l'espoir que je l'aiderais et j'ai essayé sur lui une technique apprise à l'Université. Je lui ai donné un bloc de papier en disant : "Tu n'es pas forcé d'écrire. Assieds-toi, regarde le papier et lève-toi si tu en as assez." Les premiers jours, il restait devant le papier blanc une dizaine de minutes sans rien faire.. jusqu'au jour où il a pris un crayon et s'est mis à écrire Le lendemain, il était redevenu enthousiaste et travaillait normalement. Il chantait, il riait, il me parlait de ses idées jusqu'à trois heures du matin."
Hubbard aimait traîner la plume contre les psychiatres. Un soir, il raconta à Barbara avoir fait une démonstration d' audition à un groupe de psychiatres, dont l'un avait dit : "Si vous prétendez soigner les gens de cette manière, méfiez-vous, nous vous ferons enfermer."
Puis, en éclatant de rire, il ajouta : "Et ils m'ont traité de paranoïaque! Tu te rends compte? Quand je l'ai entendu dire cela, nota Barbara ce soir-là dans son journal, j' ai eu toutes les peines du monde à ne pas pleurer." Au bout de trois semaines, sentant qu' on mijotait quelque chose derrière son dos à Los Angeles, Hubbard voulut rentrer sans même finir son livre. "Après notre retour, se souvient-elle, je ne l'ai plus revu pendant une semaine. Et puis un soir, il est arrivé chez moi échevelé, dans un état à faire peur. Il m' a dit avoir surpris Sara et Hollister couchant ensemble, qu'ils étaient de mèche avec un psychiatre de San Francisco pour le faire interner. Il avait aussi trouvé des lettres prouvant qu'Hollister complotait avec Winter et Art Ceppos pour prendre le contrôle de la Fondation." Je t'en prie, ne me demande rien, Kaye, je suis vraiment mal. J' ai besoin d'aller passer quelques jours seul dans le désert."
En réalité, Hubbard n' alla pas se remettre de ses émotions seul dans le désert, il avait d'autres projets en tête : il voulait faire enfermer Sara avant qu' elle nen fasse autant. Et il voulait d'abord mettre toutes les chances de son côté. en kidnappant sa fille. Le samedi 24 février 1951 au soir, John Sanborn était seul à La Casa où il gardait Alexis Hubbard. Greg Hemingway et lui étaient logés dans une aile de la Fondation avec un autre couple d'instructeurs, les Hunter . Marge Hunter étant amie de Sara et ayant une fillette du même âge, Sara lui confiait volontiers Alexis quand elle voulait sortir le soir. Ce samedi-là, les "pensionnaires" de La Casa avaient décidé d'aller au cinéma; Sanborn, fatigué, préférait rester se reposer et s' était offert pour garder les enfants comme souvent. Ses amis étaient donc sortis en ville.
C'est ainsi que commença cet invraisemblable embrouillamini, style film noir de série B.
Vers 11 heures du soir, Sanborn entend frapper à la porte. Flanqué d'un acolyte, une main dans la poche comme s'il étreignait un revolver, Hubbard entre en imperméable, chapeau feutre sur les yeux.
Il se fait remettre sa fille endormie et disparait en disant qu'il l'emmène à Palm Springs. Étonné, Sanborn ne put cependant faire moins que s'exécuter et alla se recoucher. A une heure du matin, un autre personnage en imper et chapeau feutre le réveille en tambourinant à la porte : cette fois, c'était Mites Hollister, surexcité, qui voulait savoir où Hubbard avait emmené sa fille. "A Palm Springs", répondit Sanborn à peine éveillé. Là-dessus, Hollister dévala l' escalier et démarra sur les chapeaux de roue. Entre-temps, toujours flanqué de son acolyte à la mine patibulaire, Hubbard avait confié la fillette sous un faux nom à des gardes d'enfants avant de kidnapper Sara qu'il voulait faire enfermer. Des heures durant, tandis que Sara folle de rage et d'inquiétude lui hurlait des injures sur la banquette arrière, Hubbard sillonnait en vain les routes de Californie à la recherche d'un hôpital psychiatrique qui voudrait bien interner sa femme ! Il la relâcha finalement dans l'Arizona, à l'aéroport de Yuma, après lui avoir fait signer un papier attestant qu'elle l'avait suivi de son plein gré. Il lui avait donné en échange l'adresse du lieu où se trouvait Alexis -adresse fausse, pour ne pas varier de ses principes. Car pendant que Sara, toujours en chemise de nuit, prenait le volant de la voiture pour regagner seule Los Angeles, Hubbard donnait par téléphone à un homme de confiance l'ordre d'engager d'urgence une nurse chargée de convoyer Alexis à Elizabeth où il la rejoindrait. En découvrant la fraude, Sara se précipita à la police porter plainte pour kidnapping mais l'inspecteur de permanence refusa d'enregistrer la plainte, la police ne pouvant s'immiscer dans les affaires familiales.
Hubbard n'alla pas non plus directement à Elizabeth car il était toujours persuadé que Sara cherchait à le faire interner. Flanqué du fidèle Richard De Mille, il prit l'avion pour Chicago où il se mit en quête d'un psychiatre qui accepterait de l'examiner et de témoigner qu'il était sain d' esprit. Après quelques visites infructueuses à quelques spécialistes plus que réticents, l'un d'eux se prêta à la comédie et lui délivra le certificat de bonne santé mentale. Avant de quitter Chicago, Hubbard téléphona au FBI pour accuser "un de ses collaborateurs" de communisme et précisa sans se faire prier qu'il s'agissait de Mites Hollister. Sur ce, Richard De Mille et lui prirent l'avion pour New York et se firent conduire en taxi à Elizabeth où la Fondation, assiégée par les créanciers, fonctionnait à peine.
Ils se logèrent à l'hôtel et attendirent l'arrivée d'Alexis. Hubbard apprit alors que Polly le poursuivait dans l'État de Washington pour le paiement des arriérés de la pension alimentaire destinée à l'entretien de ses deux enfants, Nibs âgé de seize ans et Kathy de quinze ans. Il réagit comme d'habitude en déclarant que son ex-femme était une alcoolique, indigne d'assurer la garde d'enfants mineurs. Puis, en bon citoyen animé de sentiments patriotiques, il confirma ses dénonciations deChicago en écrivant directement à la direction du FBI à Washington pour donner la liste de quinze dangereux communistes ayant infiltré son organisation, liste où figuraient en tête Mites Hollister et... Sara évidemment.
Edgar Hoover le remercia personnellement de cet acte de civisme et fit recueillir sa déposition par un agent. Au cours de l'entretien, Hubbard fut curieusement incapable de se rappeler les noms de séïdes staliniens sauf celui de Mites Hollister, qu'il accusa en outre d'avoir drogué sa femme au point de la rendre folle et d'avoir subtilisé son Colt 45 d'ordonnance. L' agent nota dans son rapport que Hubbard lui avait révélé que l'URSS s'intéressait à son travail : "Il se dit persuadé que la Dianétique peut être utilisée avec succès dans la lutte contre le communisme, mais ne m'a pas dit comment... Il a également déclaré "qu' on" l'aurait contacté dès 1938 à l'Explorers' Club pour lui proposer de s'établir en URSS afin d'y développer la Dianétique. A l'appui de ses déclarations, Hubbard m'a informé qu'il avait été certifié sain d'esprit à l'issue d'un récent examen psychiatrique subi à Chicago. "Pour sa part, l'agent du FBI concluait qu'Hubbard était "manifestement déséquilibré". Pendant son court passage à Elizabeth, Hubbard réussit à se brouiller avec son vieil ami et supporter John Campbell, qui démissionna à son tour de la Fondation et alla ainsi grossir les rangs de ses ennemis jurés.
Campbell estimalt ne plus pouvoir travailler avec Hubbard qu'il rendait responsable de la déroute financière et du chaos régnant dans l'organisation. (Informé le 9 Mars que le personnel de la Fondation de Los Angeles attendait sa paie depuis plus de quinze jours, Hubbard ne s'en occuppa pas.)
Peu après l'arrivée d'Alexis, Hubbard annonça à Richard De Mille qu'ils partaient dans le Sud où il pourrait enfin se remettre à écrire. Bien qu'il soit désormais transformé en bonne d'enfant, Richard De Mille s'en réjouit car il neigeait sans arrêt depuis leur arrivée à Elizabeth. Leur étrange trio, un grand et fort rouquin quadragénaire fumant des Kool à la chaîne, un mince et timide jeune homme transformé en son ombre et une fillette d'à peine un an débarquèrent à Tampa, en Floride, à la mi-mars pour s'installer à l'hôtel. Au bout de deux jours, Hubbard déclara que l'atmosphère lui déplaisait et qu'il voulait aller "dans un endroit où on puisse respirer à l'aise. Nous partons pour La Havane".
Avant la révolution de Fidel Castro, La Havane était une capitale très animée où le touriste aisé pouvait assouvir ses désirs. Les Américains n' avaient même pas besoin de montrer leur passeport; l' arrivée des deux hommes si mal assortis escortant une fillette apparemment sans mère passa inaperçue. Hubbard loua un appartement et engagea deux Jamaïcaines pour s' occuper de sa fille, au grand soulagement de Richard De Mille. Une fois installé, il reprit son rythme de travail nocturne avec, pour seul soutien, une bouteille de rhum généralement vide au lever du soleil. Il dormait ensuite toute la matinée et passait souvent l'après-midi à bavarder avec Richard." Il me parlait surtout de lui-même mais sans faire de vraies confidences... Il m'a beaucoup parlé de Jack Parsons et d'Aleister Crowley... des séances de magie noire auxquelles il affirmait n'avoir assisté qu'en spectateur...Son absence totale d'altruisme m'a effaré. Pour lui, les gens étaient faits pour être exploités. Il n' avait pas enlevé Alexis pour la garder, il se servait d'elle comme moyen de pression sur Sara... Quand je l' ai vu pour la première fois au Shrine Auditorium, je le considérais comme un grand homme qui avait fait une découverte si importante qu'elle éclipsait ses défauts personnels... Il n'avait jamais fait de véritables recherches mais il avait beaucoup lu et savait beaucoup de choses sur Freud, l'hypnose, l'occultisme, la magie, etc. C'est de là que sort la Dianétique... Je ne crois pas que la Dianétique ait eu du succès uniquement parce qu'elle arrivait au bon moment.. Si quelqu'un lance une idée en affirmant qu'elle changera le monde, il y aura toujours des gens pour le croire et le suivre. En un sens, Lénine a été le Hubbard de 1917."
L'assiduité de Hubbard au travail fut sérieusement compromise quand les journalistes américains arrivèrent à La Havane le 12 Avril. Sara se décidait enfin à poursuivre Ron devant les tribunaux de Los Angeles en exigeant la restitution de sa fille : les manchettes donnaient dans le formidable :
"FONDATEUR DE SECTE ACCUSÉ D'ENLÈVEMENT D'ENFANT",
"HUBBARD VOULAIT KIDNAPPER SA FEMME",
"L' AUTEUR DE LA DIANÉTIQUE SEQUESTRE SA FILLE".
Une photo de la "mère affligée", affichant malencontreusement un large sourire, illustrait la plupart des articles. Le 15 avril, après avoir digéré tant bien que mal ces fâcheuses nouvelles, Hubbard prit sa plume d' auteur de Science-fiction pour écrire à Sara :"Chère Sara, je suis dans un hôpital militaire à Cuba et je serai rapatrié la semaine prochaine aux États-Unis. mon statut de chercheur protégé par le Secret Défense me met à l'abri de toutes les ingérences. Je resterai sans doute longtemps hospitalisé mais Alexis bénéficie des meilleurs soins; je la vois tous les jours. Elle est ma seule raison de vivre. Mon esprit n'a pas fléchi sous les coups que tu m'as portés et que tu as laissé les autres m' asséner, c'est mon corps qui n'a pas résisté : côté droit paralysé, mon état s'aggrave. j'espère que mon coeur tiendra. Peut-être vais-je survivre, peut-être vais-je bientôt mourir. Mais la Dianétique durera dix mille ans : elle est désormais sous la garde de l'Armée et de la Marine. J'ai changé mon testament. Alexis héritera d'une immense fortune sauf si tu la reprends avec toi, auquel cas elle n'aura rien. J'espère te revoir une dernière fois. Adieu. Je t'aime - Ron.
Hubbard se présente alors à l' Ambassade des États-Unis à La Havane en exigeant d'être reçu par l' attaché militaire. Au nom de la "solidarité entre officiers", il lui demande sa protection contre les communistes qui tentent de s' emparer de ses recherches. Perplexe, l'attaché éludera de son mieux en disant qu'il "verrait ce qu' on pouvait faire" et câblera à Washington pour obtenir du FBI desrenseignements sur son curieux visiteur.
Le FBI répondit par retour que Hubbard avait été interrogé le 7 mars et que l'agent ayant procédé à l'entretien avait conclu queHubbard "souffrait de troubles mentaux manifestes".
Le jeune Richard De Mille, qui partageait son appartement, n' avait pas remarqué qu' Hubbard souffrit d'une paralysie du côté droit, encore moins qu'il ait été emmené d'urgence dans un hôpital militaire, mais il se rendait compte que son moral avait sensiblement baissé: "Il redevenait nerveux, il se plaignait de malaises. Nous avons déménagé pour nous installer à l'hôtel... où il est tombé malade. Il ne s' agissait probablement que d'un ulcère mais il affirmait que ses souffrances étaient dues à des drogues hypnotiques que Sara et Winter lui avaient administrées. "Les nouvelles de Los Angeles ne risquaient pas de la calmer : le 23 Avril, Sara demanda le divorce pour "extrême cruauté mentale et sévices physiques". Ses révélations firent sensation : non contente d'accuser Hubbard de bigamie et de kidnapping, elle déclarait qu'il la soumettait à des "tortures systématiques par privation de sommeil, coups, tentatives de strangulation et expériences scientifiques". La "folie agressive" de Hubbard lui inspirait "une crainte continuelle pour sa propre vie et celle de sa fille en bas âge, qu'elle n'avait pas revue depuis plus de deux mois".
Le dossier n'omettait aucun détail : Ron avait dit à Sara au Château Marmont qu'il voulait mettre fin à leur mariage mais qu'un divorce risquant de nuire à sa réputation : il lui suggérait de "se tuer si elle l' aimait vraiment" ! Après l' avoir maintenue éveillée quatre jours d' affilée, il lui avait fait avaler des somnifères à si forte dose qu'elle avait "échappé de justesse à la mort" ; il avait plusieurs fois tenté de l'étrangler, au point de lui "abîmerla trompe d'Eustache de l'oreille gauche" peu avant Noël 50. Un mois plus tard, à Palm Springs, il l'avait blessée en démarrant exprès au moment où elle descendait de voiture. Au vu de ce comportement, poursuivait la requête," la plaignante et ses conseillers médicaux constatant qu'Hubbard est atteint d' aliénation mentale incurable, il serait injustifiable de l'y [Sara] exposer davantage. Les experts médicaux recommandent l'internement d' Hubbard dans un établissement psychiatrique aux fins d'examen et de traitement d'une schizophrénie paranoïaque caractérisée".
L'avocat de Sara, Caryl Warner, s'arrangea pour que l'affaire soit largement ébruitée, avec d' autant plus de succès que les journalistes spécialisées, tant au Los Angeles Times qu'au Los Angeles Examiner, étaient des femmes, et d' ardentes féministes de surcroît. "J' ai tout fait avant le procès, se souvient Warner, pour qu' elles sachent qu'Hubbard était un salaud... un sadique fou à lier qui torturait sa femme par brûlures de cigarette... Sara et Mites se sont mariés, ils ont acheté une maison à Malibu et nous sommes devenus bons amis... Je n'ai jamais douté de la parole de Sara. Quand elle est venue me raconter l'incroyable histoire de son mari qui enlevait sa fille et voulait se débarrasser d'elle en l'envoyant dans un asile de fous, j'ai décidé de la sortir de là... J'ai téléphoné à l'avocat d'Hubbard à Elizabeth en lui disant : "Écoutez-moi bien, espèce d'imbécile, si vous ne vous débrouillez pas pour nous faire rendre cette enfant dare-dare, je vous grillerai."
Hubbard sentit le brûlé dès le lendemain avec le dépôt de plainte de Sara pour kidnapping et les manchettes accusatrices du lendemain 12 Avril. (Le seul accroc à cette campagne soigneusement orchestrée par l' avocat provint du limogeage du général Mac Arthur par le président Truman, survenu le même jour, ce qui ôta l' affaire Hubbard de la Une des journaux.) La procédure bénéficia ensuite d'une couverture extensive et l' erreur initiale des photos de Sara qui souriait à l'objectif fut corrigée par la publication de clichés la montrant en larmes, soutenue avec sollicitude par son défenseur devant le Palais de Justice. A Cuba, Hubbard prenait fort mal les choses. "Ce qui l'a le plus touché, je crois, se souvient Richard De Mille, c'était de sentir le contrôle de l'organisation lui échapper. "C'était pire que la Bérésina, à Elisabeth. Sa vie privée était en ruine, ses Fondations d'Elizabeth et de Los Angeles se désintégraient, il ne restait que des miettes de son trésor de guerre dilapidé, son livre avait des mois de retard et il se retrouvait coincé à Cuba avec sa fille en bas âge sur les bras sans savoir qu'en faire...Ce dont il avait un urgent besoin, c'était d'un sauveteur mais d'un sauveteur disposant, de préférence, de fonds considérables. Or, il existait un candidat idéal à ce rôle, un dénommé Don Purcell, de Wichita, Kansas. Car Don Purcell n' était pas seulement un dianéticien convaincu, il était aussi et surtout multimillionnaire.
Fin Avril, Hubbard lança donc par télégramme un SOS à Don Purcell. Le fidèle Richard de Mille confirma par téléphone en implorant le Bon Samaritain de "faire quelque chose pour Ron", soi-disant "moribond". Purcell réagit avec une louable promptitude en expédiant à Cuba un avion privé et une infirmière diplômée, l'une et l' autre chargés de ramener Hubbard et sa fille au Kansas. Richard De Mille devant rester sur place pour noter les heures de dictées enregistrées par Ron au magnétophone. En bon dianéticien, Purcell était enchanté que le grand L. Ron Hubbard lui accordât l'immense honneur d'être reçu par lui dans sa bonne ville de Wichita. L'enchantement ne ferait pas long feu.