Berlin Chamissoplatz (1980)
Berlin-Chamissoplatz
Berlin-Chamissoplatz, le dernier film de Rudolf Thome, était incontestablement
le meilleur film de la sélection du jeune cinéma allemand présentée
au Broadway. C'est la chronique d'un amour en 1980: celui de Martin
Berger (Hanns Zischler), la quarantaine, amateur de vin, responsable
de la rénovation de Chamissoplatz, pour Anna Bach (Sabine Bach),
étudiante en sociologie et militant activement pour la préservation
des lieux, caméra-vidéo au poing. Les amis d'Anna profitent de
sa liaison pour utiliser, à l'insu de Martin Berger, les renseignements
qu'il leur a fournis. On retrouve ici tous les thèmes caractéristiques
de Thome, une mise en scène qui retravaille constamment les mêmes
situations et les mêmes espaces: avec la rénovation et l'architecture,
le thème de l'utopie et de la modernité, avec l'amour de Martin
et d'Anna, celui des alliances et des ruptures, la négation de
toute filiation et de toute histoire. L'amour de Martin et d'Anna
rompt ou déplace les alliances précédentes: celles de Martin avec
son assàcié, avec sa femme divorcée, celles d'Anna avec le comité
de défense du quartier et avec son amant. Chamissoplatz obéit
aux règles d'un cinéma littéral, où tout se donne immédiatement
à voir, adhère à la surface de l'image sans faux suspense ni signification
cachée. Outre la richesse visuelle de la mise en scène, la gaucherie
des gestes, la pudeur des comportements, la naïveté des sentiments
et la logique d'une action dont les partenaires ne sont plus maîtres,
y acquièrent une émotion essentielle, de plus en plus rare au
cinéma. Chainissoplatz n'a sans doute qu'un défaut: la musique,
envahissante, tend à recouvrir cette émotion propre aux images.
La rapidité des enchaînements, héritée de Hawks, la déflation
de toute dramatisation, inspirée d'Ozu, aboutissent à une fluidité
du montage, dont Thome a le secret, et à un accord complet du
temps du film à son propos.
Yann Lardeau dans Cahiers du Cinéma No 322 Avril 1981