Le Secret (1994)

 


Taormina fait toujours un festival

CINEMA. Privée de subventions, la ville sicilienne a pourtant concocté une sélection de qualité, dont «Secret», fiction où une juive s'amourache du Christ et «Criminals», docu sur la violence en Amérique.

Il y eut d'abord le Secret, très probablement le plus beau film de Rudolf Thome, où le très personnel cinéaste allemand semble atteindre une nouvelle dimension: son histoire sidérante d'une jeune femme juive qui rencontre Jésus, l'aime si l’on ose dire bibliquement, puis l'assassine inconsciemment (mais, évidemment, il reressuscite) avant de découvrir qu'elle est enceinte de lui est menée avec un aplomb, un humour, un naturel extraordinairement jubilatoires, qui évoquent un Rohmer exalté et paranormal.

On ne s'inquiètera pas trop d'un éventuel discours religieux lorsqu'on saura que le titre voulu par Thome, mais refusé par son producteur, était Spaghetti au beurre et au fromage: s'il est bien question de foi et de croyance dans le Secret, c'est bien plutôt de croyance dans le cinéma qu'il s'agit et c'est pourquoi il avait toute sa place dans ce très introspectif non-festival de Taormina.

OLIVIER SEGURET dans Libération 7.8.95

Laboratoires intimes
Dunkerque

Dans Le Secret de Rudolf Thome, on baise sans retenue mais avec une allégresse communicative. Mais avouer que vous avez couché avec Jésus Christ, est-ce de l'ordre de la plaisanterie ou du blasphème? Encore une obscénité quand la gravité de la cène est à ce point détournée: dans sa retraite campagnarde, Lydia rencontre Jésus et l’amour en partageant un plat de spaghettis. Jésus en profite pour lui faire un enfant avant de s'éclipser par une pirouette. Les amis, tout d'abord incrédules, finissent par rire jaune de cette plaisanterie. Mais la croix est là, l'enfant prêt à naître et le mystère reste entier. Entre film fantastique et comédie classique, Le Secret offre plusieurs voies de plaisir et différentes pistes de lecturcs. Avec un scénario si virtuose, le spectateur peut se fier à la raison en optant pour l'imposture et le traquenard. Bien sûr, il aurait tort. Car ce qui s'offre à lui de provocations et de délires ludiques l'entraînera dans les délices de l'interdit et du trouble. Rudolf Thome le convie en catimini au festin et au jeu sans jamais sombrer dans l'artifice ou le ridicule. Mais n'est-ce pas le propre du secret de rester caché au plus grand nombre et d'être réservé aux meilleurs complices?

Sophie Bredier dans Cahiers du cinéma no 497