Galaxie (1967)
A MUNICH, J'AI RENCONTRÉ LES QUATRE MOUSQUETAIRES DE LA NOUVELLE
VAGUE ALLEMANDE
J'ai vu à Munich la place où Hitler haranguait les foules. Aucun
homme politique depuis ne s'y est risqué. La place, aujourd'hui,
est muette. C'est un lieu hanté.
Le nazisme a tué le cinéma ailemand pour longtemps, lui laissant
pour tout refuge l'abstraction et l'académisme, ces deux replis
classiques de l'âme germanique.
Les jeunes disent : «Hitler? Connais pas» ou «Hitler, je ne veux pas connaître» (Josette Alia, «Nouvel Observateur», 22 novembre 1967)...
Le problème, pour un jeune cinéaste, est d'échapper à ce faux
dilemme qui noue les énergies les mieux trempées. Ils s'agit de
revenir modestement à la réalité présente.
Une eruelle Ironie.
Rudolf Thomé a 28 ans. C'est Jean-Marie Straub qui m'a conseillé
de le voir. Il me montre ses courts métrages, Réconciliation, Stella, Galaxie. Il envisage déjà l'aventure du long métrage. Il a un scénario
prêt et pas mal de difficultés avec ses producteurs. Rudolf Thomé
ressemble à ses films qui respirent comme lui la simplicité, la
franchise, l'honnêteté, en un mot: la santé.
Pour la première fois, je vois sur un écran des Allemands d'aujourd'hui
vivant des situations quotidiennes ou saugrenues, très finement
dramatisées. Les personnages existent. Ils sont tous attachants:
la fille rencontrés à la fête de la bière par un bourgeois en
mal d'aventure (Réconciliation). L'homme partagé entre deux amours et qui croit pouvoir les
concilier (Stella). Les trois héroïnes de Galaxie qui règnent (par anticipation) sur une virilité soumise.
Evidemment, Thomé ne traite dans ses films aucun des grands problèmes
d'aujourd'hui. Il prend son bien dans le trésor inépuisable des
relations sentimentales, dont il donne une vision neuve, moderne
(un avantage marqué étant donné à nos amies, les femmes), mais
en toute simplicité de ton. Une neutralité douce et fluide dissimule
une cruelle ironie.
Mais Thomé n'est pas un isolé. Ils sont quatre à Munich qui forment
un groupe cohérent. Le plus jeune se nomme Schilling. Il a 23
ans, il est opérateur de prises de vues et réallisateur de courts
métrages (Vol 601). Le plus âgé a 31 ans. C'est Max Zilhmann, réalisateur lui aussi,
mais surtout scénariste. Le plus doué, de l'aveu des trois autres,
se nomme Klaus Lemke, 27 ans, qui termine actuellement son deuxième
long métrage (Moins que rien). J'espère que nous verrons bientôt en France 48 Heures pour Acapulco, son premier grand film.
Ce petit groupe fait penser à notre «nouvelle vague» de 1957.
Ils ont appris le cinéma au cinéma. Ils admirent les grands maîtres
allemands (Murnau, Lang), mais aussi le cinéma américain (Hawks,
Hitchcock) qu'ils ont eu du mal à imposer aux intellectueils du
cinéma allemand. Rien ne les irrite plus que la fausse ambition,
le faux engagement politique,ou moral.
«Nous ne voulons pas filmer des problèmes, mais des hommes qui
ont des problèmes», me dit Thomé. «Ce qui est intéressant, dit Zilhmann, ce ne sont pas les idées, mais les choses de la vie, l'amour,
la mort, l'argent. » Cela parait évident, mais en Allemagne, de telles évidences
ont du mal à s'imposer. Straub, Thomé ont dû se battre pour obtenir
de tourner leurs films en son direct. C'est tellement plus facile
de post-synchroniser les voix en studio, au mépris de toute réalité.
La fascination de léchec.
D'abord créer, ensuite penser tel est leur mot d'ordre. «On pense toujours plus qu'on ne le pense», dit joliment Lemke. Bien sûr, leurs films et les sujets qu'ils
me racontent trahissent une inquiétude certaine, la fascination
de l'échec. «J'aime beaucoup les types brisés, me dit Zilhmann, le Belmondo d'A bout de souffle et de Pierrot le fou... Bogart
naturellement : même lorsqu'il gagne à la fin du film, il ne gagne
jamais tout à fait... Je me méfie des héros. Et puis, quelqu'un
qui échoue est toujours plus intéressant que quelqu'un qui réussit.»
48 Heures pour Acapulco, le film qu'il a écrit pour Klaus Lemke, raconte l'impossibilité
de vivre une aventure et un amour. «Les personnages, me dit-il, pourraient réussir. Ils créent eux-mêmes leur propre échec, typiquement.». De cela, Zilhmann et Lemke ont pris conscience, mais à la fin
de leur travail.
Leur témoignage n'en est que plus révélateur. Les jeunes du qroupe
de Munich procèdent par intuition, sans idée préconçue. Et ils
rencontrent ce sentiment, plus vif ici peut-être, qu'à Londres,
Paris ou Rome, d'un avenir incertain ou bouché, et qui pourtant
se construit sous nos yeux.
Claude-Jean Philippe dans Télérama No 940, 21. 01. 1968